Corps en miettes – Sylviane Agacinski

Publié le 30 Juin, 2009

Les aspirations meurtries ne se guérissent pas par tous les moyens“. C’est cette conviction qui anime le dernier ouvrage de Sylviane Agacinski intitulé Corps en miettes1. Alors qu’ à l’occasion de la révision des lois de bioéthique, la presse met la “gestation pour autrui” sur le devant de la scène, la philosophe s’inquiète de la promotion d’une technique qui consiste en une “aliénation biologique” du corps de la femme. Son ouvrage est un cri d’alarme pour défendre la dignité des personnes face à une instrumentalisation et une chosification croissante du corps humain. Eclaté en organes, fonctions, substances et cellules, celui-ci est devenu un objet, un stock de fournitures biologiques au service des consommateurs. 

 

Au-delà de l’unique question de la gestation pour autrui, c’est à une réflexion sur les méthodes de procréation médicalement assistée que nous convoque Sylviane Agacinski. “L’enfant n’est plus qu’un produit fabriqué à partir de miettes : sperme, ovocyte, utérus. Qu’est-ce qui nous attend si nous oublions la dignité de la personne et de son corps ? “, s’interroge-t-elle.

 

Le corps saisi par l’économie et la technique

 

Après l’aliénation des hommes dans le travail à la chaîne et leur exploitation économique, la procréation artificielle peut faire naître une aliénation biologique en transformant la femme en outil vivant. Si le ventre de la femme peut être loué, si le bébé peut être donné, voire vendu, notre société instaure une forme extrême de servitude puisque c’est toute l’existence de la femme qui est confisquée. La gestation pour autrui révèle “l’émergence d’une industrie procréative et d’un marché qui ont terriblement besoin du corps des femmes“. Celle-ci relève de la même logique que les trafics d’organes auxquels ont donné lieu les techniques de greffe : “Les greffes d’organes sauvent des vies, mais la pression de la demande représente une menace grave sur ceux dont elle convoite la substance“.

 

Ainsi, c’est uniquement au travers du prisme de la technique que l’on appréhende désormais l’homme et son corps : “La vision poétique de la nature (…) a cédé devant une vision technique, prométhéenne, animée par un désir de puissance, une volonté de rendre le monde intégralement connaissable et maîtrisable“. L’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) est un lieu privilégié de cette confiscation de l’humain au profit de la technologie : “Par sa nature même, la médecine procréative intervient à l’écart du désir charnel, mais, en s’occupant de nos cellules, elle se charge de se substituer à lui“. La commande technologique de l’enfant a transformé l’enfantement en méthode de fabrication dont la FIV (fécondation in vitro) a constitué la rupture technologique nécessaire. Deux étapes ont fait des gamètes des matériaux “à disposition” en même temps qu’ils coupent tout lien de filiation entre les donneurs et l’enfant ainsi fabriqué : il s’agit de l’extraction des ovocytes hors du corps de la femme et de la congélation du sperme.

 

Dignité et respect du corps humain

 

Cette réduction progressive du corps humain à un produit est pourtant parfaitement incompatible avec la dignité du genre humain que chrétiens et philosophes s’accordent à reconnaître. Sylviane Agacinski rappelle que cette dignité rend l’homme supérieur à tous les autres êtres vivants. Cela suffit à fonder son droit à l’intégrité et à exclure la vénalité morale ou physique. Les choses ont un prix mais la personne humaine n’en a pas puisqu’elle n’est pas une chose et n’est donc pas échangeable. 

Or c’est justement comme être échangeable que l’enfant porté pour autrui est nécessairement perçu. Il fait l’objet d’un contrat et acquiert donc une valeur marchande. Ainsi les propres enfants d’une mère porteuses s’interrogent : pourraient-ils garder le bébé que porte leur mère en le rachetant aux futurs parents ? Et eux-mêmes, ne pourraient-ils pas à leur tour être vendus par leur mère ? Enfin, le terme de “gestation” permet d’occulter l’accouchement et d’effacer le fait que c’est un enfant qui est ainsi donné.

 

De son côté, la femme est véritablement instrumentalisée. L’expression “mère porteuse“, qui avait une connotation vétérinaire déplaisante et révélait trop crûment l’application des techniques d’élevage aux êtres humains a été remplacée par la formule “gestation pour autrui“. Celle-ci renvoie à un procédé technique de procréation et fonctionnalise la grossesse qui devient une tâche parcellaire dans un processus de production et se veut altruiste… Pourtant, concrètement, les femmes susceptibles de proposer leurs “services” risquent bien de compter parmi les plus défavorisés qui verront dans cette activité un moyen de survie.

 

Fiction thérapeutique et mythe du consentement

 

Cette exploitation de l’humain se cache derrière une fiction thérapeutique : les techniques d’AMP constitueraient un “traitement” contre la stérilité. Les gamètes, voire l’embryon sont de facto assimilés à un médicament. Le déni du réel va jusqu’à attendre de la maternité de substitution qu’elle “pallie” la “stérilité” masculine des couples homosexuels. Mais on ne donne pas un organe ou du sang qui sauve une vie comme on donne du sperme ou loue un utérus pour donner la vie. Par ailleurs, il convient de se souvenir que “le respect de la dignité de chacun doit être garanti, fût-ce en dépit de la liberté individuelle. On touche en effet ici aux limites de la valeur du consentement qui ne saurait tout justifier“.

 

Il importe donc de résister à la pression du marché, de ne pas forcément rendre légal ce qui est techniquement possible et de se souvenir que l’humanité n’est jamais acquise. A ce sujet, l’auteur évoque le souvenir des Lebensborn, ces maternités créées par Himmler pour encourager les femmes à faire de blonds bébés aryens, quitte à les abandonner à la naissance. Tirant les leçons du passé, l’Allemagne aujourd’hui interdit le don de gamètes et veille au respect du droit à connaître ses origines, afin d’éviter un usage instrumental du corps humain, au mépris de la dignité des personnes.

 

Un livre passionnant qui éclaire sur les conséquences d’une confiance aveugle dans le pouvoir technologique et l’idéologie du consentement.

 

1-Corps en miettes – Sylviane Agacinski – ed. Flammarion, mars 2009

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