Valeurs Actuelles consacre un dossier à l’association suisse Dignitas qui fait scandale dans son pays où le suicide assisté est pourtant légal et bénéficie, en France, d’un intérêt croissant.
En Suisse, comme aux Pays-Bas, en Belgique et dans l’Oregon aux Etats-Unis, le suicide assisté n’est pas une infraction, "si l’acte est altruiste et sans mobile égoïste". Les conditions de discernement de la personne, demande sérieuse et répétée dans le temps, maladie incurable, souffrances physiques ou psychologiques importantes et pronostic fatal ou invalidité définitive doivent aussi être réunies. "Concrètement, un médecin peut aider un patient à mourir en lui préparant un poison, mais c’est au malade de porter le verre à ses lèvres."
Créée en 1998 par Ludwig Minelli, avocat zurichois de 75 ans, Dignitas "a suicidé" près de 800 personnes. Expulsée par ses voisins de ses locaux zurichois en août 2007, l’association donne désormais la mort n’importe où et, comme depuis toujours, à n’importe qui, quel que soit l’âge ou la situation de ses "clients". Ainsi a-t-elle, entre autres, donné la mort à un couple de britanniques âgés de 53 et 59 ans qui souffraient d’épilepsie et de diabète et à un jeune homme de 25 ans. "Le suicide c’est la liberté de chacun. Ce n’est pas à nous de juger les raisons. Les personnes ayant des souffrances psychologiques ont aussi le droit de mourir", justifie Ignaz Reutlinger, ancien membre de l’association.
Dignitas est l’une des seules associations de ce genre à accueillir des étrangers. 60% de ses "clients" viennent d’Allemagne et, en 2006, sur les 200 suicides assistés réalisés, une quinzaine de personnes étaient françaises. "La pratique est la même que pour les impôts. Les étrangers viennent en Suisse pour échapper à la loi de leur pays et y mourir", explique Ignaz Reutlinger. Pour son fondateur, Dignitas a pour but de "lever le tabou du suicide" : "il faudrait pouvoir dire à tous : "oui, vous avez le droit de faire ce grand voyage, mais avant de partir il faut consulter une agence et bien dire au revoir à ses proches"". Selon lui, "70% des personnes qui prennent contact avec nous sont finalement dissuadées de se suicider", "savoir qu’elles ont cette possibilité de mourir quand elles le souhaitent les rassure définitivement".
Ludwig Minelli rêverait même d’installer des distributeurs de poison dans des lieux publics. Une manière pour lui d’augmenter le nombre de ses "clients" ? "Ici, il ne s’agit pas vraiment d’altruisme", note l’hebdomadaire : chaque candidat à l’assistance au suicide doit en effet payer au moins 3 500 euros, alors que Dignitas ne propose pas une "mort de grand luxe" et se procure une dose de pentobarbital pour 5 euros… Soraya Wernli, ancienne secrétaire générale a quitté l’association pour des raisons éthiques et financières : "Ludwig Minelli a gagné beaucoup d’argent avec Dignitas. Avec l’association, il s’est constitué une fortune personnelle qui dépasse, au bas mot, selon moi, les 800 000 euros. Ce chiffre ne tient pas compte de tout ce qu’il reçoit en nature des personnes qu’il assiste". Ce que réfute Ludwig Minelli qui dit tout reverser à l’association.
Dignitas est par ailleurs soupçonnée de ne pas respecter la législation selon laquelle une personne souhaitant mourir doit rédiger une déclaration de suicide et confirmer oralement sa volonté aux "accompagnateurs" : ceux-ci ne parlent pas forcément la langue de leur patient et ne leur laissent pas toujours le temps d’une dernière réflexion. "En 2005 et 2006, bon nombre de personnes sont arrivées de l’étranger et sont mortes dans la journée. Elles n’ont même pas pu repenser leur choix, passées la fatigue et la confusion du voyage", raconte Soraya Wernli.
"Accusée de créer un tourisme de la mort", "chassée par les habitants, pourchassée par le gouvernement zurichois et dénoncée par le parti socialiste suisse qui veut qu’elle cesse ses activités", Dignitas continue tout de même ses activités. L’association a même annoncé la création prochaine d’une antenne en Allemagne…
Dominique Folscheid, philosophe et spécialiste des questions d’éthique, analyse cette question du suicide assisté. Pour lui, "on est en ce moment en pleine régression sur le thème de la dignité" : bien que "notre civilisation a su évoluer vers une conception de la dignité intrinsèque à l’être humain", "on en revient à l’Antiquité romaine, quand la dignité d’un homme dépendait des honneurs qu’il recevait". De plus, poser le suicide assisté comme condition d’une mort digne, frappe d’indignité ceux qui refusent cette idée.
Le suicide en lui-même "est une liberté sauvage et autodestructrice qui ne dépend d’aucun droit". Mais, le suicide assisté, impliquant une tierce personne, l’instrumentalise "au nom d’un "devoir" imposé par celui qui revendique son droit à mourir", bafouant ainsi la dignité de cette tierce personne.
Si des "dérogations exceptionnelles" pourraient être imaginées, "on ne doit pas légaliser le suicide assisté" : "ceux qui demandent cette légalisation cherchent à légitimer des actions dont ils refusent d’assumer le poids moral", explique Dominique Folscheid. Concéder un "droit de mourir" deviendrait un "quasi devoir de mourir" pour certaines personnes "dont les soins représentent une lourde charge pour la société". Le suicide assisté est par ailleurs une entorse au devoir du médecin de "sauver ou conforter la vie" et "suicider quelqu’un d’autre équivaut à un meurtre".
Il ajoute que "la plupart des demandes d’euthanasie s’effacent quand on prend correctement en charge la douleur et l’angoisse".
Valeurs Actuelles (Pauline Liétar) 29/02/08