Cellules souches du sang de cordon : le retard de la France

Publié le 7 Mar, 2008

Le Point enquête sur le phénomène de "la fuite des cordons". Alors que la recherche sur les cellules souches bat son plein, portant beaucoup d’espoirs thérapeutiques pour une médecine "régénérative", de plus en plus de couples français veulent conserver le sang du cordon ombilical de leur nouveau-né pour un usage thérapeutique personnel. Cette pratique étant interdite en France, celle-ci n’autorisant le prélèvement de sang de cordon qu’au titre de don, "nos cordons partent en catimini à l’étranger", quand les femmes ne choisissent pas d’accoucher directement hors de nos frontières.

Aujourd’hui, on compte 134 banques privées dans le monde et pas une seule en France où le système se fonde sur le bénévolat, l’anonymat et le financement public. Pourtant, la France était pionnière en la matière : en 1987, Eliane Gluckman, chef du service hématologie et greffe de moelle à l’hôpital Saint-Louis à Paris, réalisait la première greffe de sang de cordon au monde, sauvant ainsi la vie d’un enfant de 5 ans atteint d’une maladie mortelle du sang. Les publications se multiplient sur les cellules souches : de celles de Colin McGuckin (université de Newcastle, Grande-Bretagne) aux travaux de Martijn Van Griensven (Ludwig Boltzmann Institute for Experimental and Clinical Traumatology, Vienne) sur les os, les cartilages et les tendons abîmés.

Néanmoins, pour Carine Camby, directrice de l’Agence de la biomédecine, chargée de stocker et gérer les prélèvements de sang de cordon, les banques privées "ne vendent que du vent". Axel Kahn s’insurge contre ce qu’il considère être une "escroquerie". Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a, en 1996 et 2004, estimé qu’"aucune réalité thérapeutique ne justifie les promesses faites par les banques privées".

"La recherche sur les cellules souches de sang de cordon, c’est le talon d’Achille de la France", analyse Grégory Katz-Bénichou, vice-président d’Eurocord (fondation regroupant un réseau européen de banques de sang de cordon, une plateforme de recherche et un pôle de formation). Eliane Gluckman dresse le même constat : "avec 6 000 greffons par an, la France pointe à la seizième place mondiale" quand "nous devrions disposer d’un total de 50 000 unités". Cela est d’autant plus navrant que, en attendant, la France est obligée d’importer des greffons à 15 000 euros minimum l’unité… L’Agence de la biomédecine a promis de doubler le stock dans les années à venir et d’autoriser d’autres établissements à collecter le sang (la France ne dispose actuellement que de deux banques publiques à Bordeaux et Besançon ; une troisième devrait ouvrir à Marseille). Le Congrès américain a, lui, alloué 265 millions de dollars aux recherches sur les cellules de moelle osseuse et de sang de cordon.

Mais, en France, le débat sur les cellules souches divise le monde scientifique, entre tenants de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui sont persuadés que, d’ici une dizaine ou une quinzaine d’années, les cellules souches embryonnaires donneront de meilleurs résultats, et ceux qui, à l’inverse, sont convaincus que les cellules souches embryonnaires, induisant des effets tumoraux et posant de graves problèmes éthiques, n’ont pas d’avenir. Et puis, il y a ceux qui choisissent la voie médiane, comme Jean-Claude Ameisen, immunologiste et président du comité d’éthique de l’Inserm : "nous sommes en face d’espoirs thérapeutiques. Difficile d’empêcher les gens d’y croire. Dans 10 ans, nous serons fixés sur les potentialités du sang de cordon" et, d’ici là, "plus les banques publiques seront pauvres en prélèvements, plus il sera difficile de traiter un grand nombre de personnes". Enfin, il y a ceux qui veulent à tout prix maintenir le "principe altruiste", à l’instar de Jacques Lansac, président du Collège national des gynécologues et des obstétriciens, qui se dit "favorable au don pour éviter que les bénéfices thérapeutiques du sang de cordon ne profitent qu’aux plus riches".

Certains pays arrivent toutefois à concilier banques privées et banques publiques. Ainsi, la législation espagnole prévoit la coexistence des banques privées et publiques, les premières alimentant les secondes ; l’Espagne compte à ce jour 28 000 greffons. En Grande-Bretagne, la Virgin Health Bank de Richard Branson conserve 20% du sang placentaire et donne le reste aux établissements publics. Cryo-Save, banque privée belge et 1ère banque européenne avec 50 000 greffons, est partenaire de 36 Etats et fournit des greffons au secteur public tout en alimentant la recherche.

"Pourquoi ne pas calquer notre législation sur ce qui se fait à l’étranger ?", "la France peut-elle conserver son modèle au risque de voir ses cordons filer à l’étranger ?", s’interroge l’hebdomadaire. La France semble commencer à prendre conscience des enjeux thérapeutiques, économiques et financiers que revêtent les cellules souches (le marché est estimé à 15 milliards de dollars) : la création d’un groupe de travail sur le sujet est évoquée, à l’approche de la révision de la loi de bioéthique.

Le Point (Guy Hugnet) 06/03/08

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