Politique magazine publie une interview de Dominique Souchet, député de Vendée, sur les enjeux liés à la révision de la loi bioéthique.
Infertilité, dépistage prénatal généralisé pour les femmes enceintes, etc. : bien plus qu’auparavant, la science fait irruption au coeur de nos existences quotidiennes et met en jeu notre conception même de la vie. C’est pourquoi "la réflexion bioéthique ne doit pas rester l’apanage d’un cercle restreint de spécialistes". La bioéthique, rappelle Dominique Souchet, est "une des rares compétences que les Etats [européens] n’ont pas abandonné à l’Union européenne". Dans le rapport final des états généraux de la bioéthique, les citoyens avaient insisté sur le fait que "la France est un pays souverain qui ne doit pas se soumettre à la pression internationale en matière d’éthique". C’est pourquoi la responsabilité des élus ne peut être confisquée par un corps d’experts ou déléguée à des "personnalités techno-scientifiques désignées", qui sont "plus aisément exposées à des conflits d’intérêts industriels, financiers et commerciaux". Elle ne doit pas non plus être déléguée à "aucune agence, fût-elle de biomédecine".
Dominique Souchet souligne l’influence des groupes de pression qui cherchent "à influencer très directement le législateur par des coups médiatiques" comme l’a par exemple illustré l’annonce par le Pr R. Frydman de la naissance du premier bébé-médicament en France. Un lobbying idéologique très efficace s’est également exercé sur la question de la recherche sur l’embryon humain. Les partisans de l’expérimentation sur l’embryon souhaitaient la suppression du moratoire mais aussi voir élargi et pérennisé le "régime contradictoire d’interdiction-autorisation" alors que l’on sait désormais que les perspectives thérapeutiques attendues de cette recherche sont illusoires et que la découverte des cellules reprogrammées (iPS) ouvrent des perspectives prometteuses. Plus accessibles, celles-ci "répondent aux besoins de modélisation de pathologie que recherchent les industriels du médicament" et ne posent pas de problème éthique. "Pourquoi alors un tel acharnement à vouloir maintenir l’embryon humain comme objet de recherche sans réelle nécessité scientifique ?" interroge Dominique Souchet. "Je ne comprends pas que l’on ne mène pas les recherches nécessaires à la connaissance fondamentale comme à la thérapeutique, sur l’embryon de mammifère animal, qui présente les mêmes caractéristiques que l’embryon humain. Il faudrait aussi privilégier les recherches sur les cellules adultes reprogrammées qui constituent bien une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques" avait déclaré le Pr. Jacques Testart, auditionné par la Commission spéciale de bioéthique. De forts intérêts financiers expliquent cette obstination. Ayant massivement investi sur la recherche sur l’embryon, les laboratoires ont une obligation de résultats et se trouvent "embarqués dans une fuite en avant pour tenter d’obtenir des succès thérapeutiques qui justifieraient leurs recherches".
La France sera "en avance en matière de bioéthique" lorsqu’elle disposera "de la législation la plus protectrice de la dignité de la personne humaine, ce qui n’est nullement contradictoire avec les avancées de la recherche" explique Dominique Souchet. "Tout ce qui est techniquement réalisable n’est pas pour autant éthiquement légitime" et le droit ne consiste pas en une "permanente adaptation de l’offre techniquement disponible à la demande". Le législateur doit toutefois se pencher régulièrement sur les lois de bioéthique car il est indispensable de s’interroger sur les effets et conséquences de nouvelles techniques et "les confronter aux exigences éthiques". La vitrification d’ovocytes, par exemple, demandera une attention particulière quant à ses possibles dérives.
Dominique Souchet déclare enfin que le légal coïncide avec la morale au niveau des principes : le Code civil affirme par exemple la dignité de l’embryon humain. Le rôle du Parlement est de veiller à ce que "les nouvelles dispositions législatives qu’il définit, en liaison avec les nouvelles possibilités techniques ouvertes par la science, soient en cohérence avec ces principes". La loi de bioéthique "doit être claire et univoque, non schizophrène". Le projet de loi de bioéthique qui vient d’être voté n’y est pas parvenu : des "discordances vident de leur contenu les principes moraux qu’il réaffirme, à l’image d’une recherche sur l’embryon humain aussitôt démentie par un régime de dérogation élargi et pérenne".
Politique magazine mars 2011