Avis 107 du CCNE : élargissement du DPI à la trisomie 21 et aux prédispositions

Publié le 31 Oct, 2009
L’actualité sur la trisomie 21 vient pointer les contradictions de notre société à l’égard des personnes atteintes de ce handicap : “On est tous troublés par ce handicap. Nul ne peut nier l’humanité de ces enfants-là. Et pourtant… La société française a du mal à le regarder en face”, citait récemment le quotidien Libération.
 
Renforcement du dépistage
 
Ainsi, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu, le 17 novembre 2009, un avis sur le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI) recommandant d’étendre le dépistage de la trisomie 21. Le DPI, admis comme “transgressif” mais susceptible d’éviter “les souffrances attendues d’une vie humaine”, est autorisé pour permettre la sélection d’embryons exempts de maladies génétiques d’une particulière gravité, reconnues comme incurables au moment du diagnostic. Le Comité préconise de “lever l’actuelle interdiction de procéder à la détection d’une trisomie 21 avant de transférer les embryons non atteints de l’anomalie recherchée”. Le Pr Israël Nisand, chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, commente : “On a les chromosomes sous les yeux, cela ne coûte rien de regarder si l’embryon qu’on veut implanter n’est pas atteint de trisomie 21. Et cela peut ensuite éviter d’avoir recours à un avortement”. Une telle mesure est jusqu’ici interdite puisque la loi précise que le DPI ne peut porter que sur la recherche d’une maladie à la fois. Par ailleurs, aucune liste de maladies n’existait afin de ne pas stigmatiser les patients. En nommant la trisomie, le CCNE stigmatise donc les personnes trisomiques. Après le renforcement du dépistage dès le premier trimestre de la grossesse et alors que 96% des fœtus trisomiques dépistés sont avortés, l’avis 107 marque un pas de plus dans l’eugénisme.
 
De la compassion, pour le CCNE
 
Lors de la conférence de presse annonçant cet avis, le philosophe Pierre Le Coz, membre du CCNE, a affirmé : “Nous considérons que nous ne sommes pas dans l’eugénisme.[…] Tant que les couples ont la liberté, qu’il n’y a pas d’incitation de l’Etat, il n’y a pas d’eugénisme.[…] Nous pourrions dire qu’il y a un eugénisme libéral, mais maintenir un concept à double entrée, eugénisme individuel ou eugénisme politique, entraîne une confusion. Or, nous voulons clarifier. Il ne faut pas culpabiliser les gens en les suspectant d’eugénisme”. Cette sélection des êtres humains serait motivée par une intention ” louable” : ” Par humanité, nous épargnons la souffrance. C’est une motivation humaniste, compassionnelle, louable même, car on affranchit les familles du poids du malheur”. Tout au plus pourrait-on donc parler de“pression du corps social”. Le député Jean Léonetti considère aussi qu’il n’y a pas d’eugénisme au sens strict car, dans le cas du DPI, on se réfère “à ce que cet être aurait souhaité, en passant par la personne qui peut témoigner pour lui, à savoir sa mère”.
 
Xavier Lacroix, membre du groupe de travail ayant rendu cet avis, a, lui, affirmé à La Croix : “Globalement, ce texte a une bonne teneur éthique, et je l’approuve. Sauf sur ce point.” Pour lui, s’il “ne s’agit pas d’un eugénisme collectif et coercitif comme l’histoire en a connu dans certains régimes totalitaires”, il y a bien“un eugénisme libéral et individuel qui peut aboutir au même résultat qu’une politique collective”. Le CCNE s’est fondé sur “un argument pragmatique et utilitaire évident. […] Mais dans la réflexion éthique, la balance utilitaire ne doit pas toujours avoir le dernier mot”. “Le DPI est déjà transgressif sur le plan éthique, puisqu’il conduit à éliminer les embryons non conformes. Mais il est limité aux pathologies graves ce qui est déjà un compromis. Si on l’élargit à la recherche de la trisomie, pathologie qui fait déjà l’objet d’une véritable traque, on sort de ce cadre. Et qu’est-ce qui empêchera, après la trisomie, d’étendre encore le DPI, à la recherche de multiples autres affections ? “
 
Un avis d’exclusion
 
La Fondation Jérôme Lejeune a immédiatement publié un communiqué, pour dénoncer, l’année du cinquantenaire de la découverte de la trisomie 21, “une étape supplémentaire qui confirme la volonté d’éradiquer le plus tôt possible tout être humain atteint de trisomie 21 et renforcera l’eugénisme”. Son président, Jean-Marie Le Méné, a affirmé que l’avis du CCNE n’était certainement pas “un avis modéré inspiré par la sagesse”, précisant par ailleurs que ce qui allait ” ‘justifier ‘ la recherche de la trisomie, c’est seulement le regard d’exclusion posé a priori sur les porteurs de cette affection, exclusion déjà créée, entretenue et financée par l’Etat à travers sa politique eugénique de dépistage généralisé (DPN)”. Il s’est inquiété que cet avis élargisse encore le champ du DPI. Il s’interroge donc : au nom de la souffrance des femmes attendant un enfant trisomique 21, le CCNE préconise de dépister les embryons soumis à un DPI, mais pourquoi ne pas l’étendre à tous les embryons conçus par FIV ? “Au nom de quoi la FIV classique pour infertilité se verrait-elle refuser le droit à une grossesse débarrassée du risque de la trisomie 21 ? Au nom de quoi imposerait-on aux femmes qui ont déjà eu du mal à concevoir la souffrance d’attendre les premiers mois de la grossesse pour être confrontées au dépistage de la trisomie 21 alors que le DPI offre une possibilité tellement plus simple?”
 
L’avis 107 propose également d’étendre le DPI aux prédispositions au cancer et de maintenir l’utilisation du DPI dans le cas d’un bébé-médicament, contrairement aux préconisations du Conseil d’Etat. La Fondation Jérôme Lejeune a donc interpellé “solennellement la représentation nationale […] Il sera demandé aux représentants de la nation cohérence et courage et à l’Etat de prendre des mesures fortes et concrètes, sauf à entériner le choix collectif de l’éradication des enfants trisomiques”.
 
Un espoir de traitement
 
De manière symbolique, l’avis 107 a été rendu le 17 novembre 2009. Le 18, un groupe de chercheurs américains de l’université de Stanford publiait une étude dans la revue Science où il affirmait avoir réussi à rétablir les capacités intellectuelles de souris modèles de trisomie 21. Les scientifiques ont stimulé la production de norépinéphrine, une hormone de l’hippocampe qui joue un rôle clé dans les processus d’attention et de mémorisation mis en cause par la maladie. Ils ont alors constaté que les souris retrouvaient des capacités intellectuelles proches de la normale. “Nous avons de bonnes raisons de croire que ce type de thérapie pourrait avoir un effet bénéfique sur les enfants atteints de trisomie”, a affirmé le principal auteur de l’étude, Ahmad Salehi.
 
En conclusion, on peut voir une fois encore que le progrès n’est pas du côté de la transgression. 

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