Alors que le président François Hollande s’est engagé à favoriser “une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité” et que le professeur Didier Sicard, président de la commission de réflexion sur la fin de vie, s’apprête à rendre son rapport à la fin du mois de décembre, Damien Le Guay, philosophe et vice-président du Comité national d’éthique du funéraire, s’interroge, dans une tribune publiée dans le quotidien La Croix: “Ne faut-il pas revenir, [avant cela] sur [la] question de la dignité?“.
En premier lieu, Damien Le Guay précise que “la prise en charge de la mort dans les hôpitaux, aujourd’hui, en France, n’est pas satisfaisante“, s’appuyant sur un rapport de l’Igas, de 2009 (Cf Synthèse de presse Gènéthique 10/10/12). Ainsi, il mentionne que “le constat est accablant. Les disparités de traitement sont grandes. Les lacunes, patentes – surtout autour des chambres mortuaires. Les prises en charges préventives, faibles et mal coordonées“. Selon le philosophe, cette mauvaise prise en charge est due au fait que “la mort n’est pas l’une des missions de l’hôpital“. Par conséquent, il s’interroge de nouveau: “Alors, avant de s’intéresser aux cas d’ ‘euthanasie’ qui n’entreraient pas, dit-on, dans le cadre de la ‘loi Léonetti’, ne faudrait-il pas, avant tout, favoriser une mort confortable, la plus digne possible, pour les 500 000 personnes qui meurent chaque année en France – sans oublier leurs familles?“.
En second lieu, Damien Le Guay explique qu’ “il est évident que cette ‘dignité’ n’appartient à personne en particulier“, car “elle est une qualité, non une modalité. Une exigence de tous, non une revendication particulière. Un horizon éthique, non une interruption volontaire“. A propos de cette notion, il rappelle qu’il y a quelques années, Didier Sicard indiquait, dans un texte intitulé “Le coup de grâce“, “que la ‘dignité’ est à trouver ‘dans le regard porté sur celui qui est le plus faible, le plus désespéré, le plus condamné'”. “Le risque“, poursuivait Didier Sicard, “est alors grand, pour la personne en fin de vie, d’une double condamnation à mort: par la maladie et par le regard de l’autre. Un regard de commisération peut être meurtrier“.
Enfin, le vice-président du Comité national d’éthique funéraire considère qu’il faut “insist[er] sur les différents paris de la dignité palliative“. Ainsi, “quand le courage de vivre [du malade] lui fait défaut n’en cherche-t-il pas autour de lui? Ne désire-t-il pas retrouver le courage de vivre jusqu’aux dernières minutes de son existence? […]. Il compte donc sur les vivants plus vivants que lui pour que s’opère une sorte de transfusion de confiance. Là est la raison d’être de la culture palliative“.
Pour Damien Le Guay, “tout ce travail d’accompagnement, cette intelligence palliative des équipes risqueraient d’être ébranlés, remis en cause, par une rigidité législative. Faut-il faire confiance aux accompagnants, aux soignants, aux familles ou s’en remettre surtout à des autorisations d’interruption décrétées? Faut-il en rester à la loi Léonetti, trop peu connue, mais soucieuse d’offrir des souplesses concertées, ou faut-il la ‘dépasser’ pour quelques cas limités?“. Le philosophe termine en précisant qu’il y a alors deux risques. Un premier, “[…] pas mince […] [qui est] de ‘sacraliser’ le ‘désir de mort’ des malades, sans trop pouvoir entrer en dialogue avec eux pour mieux le mettre en perspective“. Le second, “favoriser la toute-puissance meurtrière de certains – comme le docteur Bonnemaison, soutenu par Marie Humbert, qui aurait pratiqué sa pitié expéditive, sur au moins sept malades“.
Ainsi, “en ces sujets, il n’est pas de solutions parfaites. Gagner et perdre vont ensemble. Encore ne faut-il pas, par trop de raideur, perdre cette confiance vigoureuse, valorisante, combative, cordiale, et collégiale, qui permet un vrai accompagnement“.
La Croix (Damien Le Guay) 07/12/12