L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), organisait hier, jeudi 29 novembre, à l’Assemblée nationale, une journée d’auditions sur “Sciences du vivant et société : la loi de bioéthique de demain“. Animée par Alain Claeys, député de la Vienne et Jean-Sébastien Vialatte, député du Var, cette journée préparait la révision des lois de bioéthique de 2004, prévue en 2009.
Deux idées ont émergé au cours de cette journée :
– établir une loi cadre fixant les grands principes régissant toutes les questions de bioéthique et instituer des agences indépendantes dont le rôle serait de décider ensuite de délivrer ou non les autorisations. Ces agences auraient un rôle jurisprudentiel concernant les nouvelles pratiques biomédicales. Cette idée était défendue notamment par Jean-Claude Ameisen, directeur du comité d’éthique de l’Inserm, Alain Claeys et Axel Kahn, directeur de l’Institut Cochin.
– continuer la recherche sur l’embryon et gommer la référence dans la loi au “bénéfice thérapeutique”, aujourd’hui préalable nécessaire – au moins théoriquement – à toute autorisation de recherche sur les cellules souches embryonnaires. La loi de 2004 posait en effet comme principe l’interdiction de la recherche sur l’embryon tout en autorisant la recherche sur les embryons dits “surnuméraires”, congelés depuis plus de 5 ans et dépourvus de projet parental. Cette “exception” reste soumise, selon la loi, à deux conditions : celle “d’être susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs” et celle “de ne pouvoir être poursuivie par une méthode alternative d’efficacité comparable“. Aucune thérapie avec les cellules souches embryonnaires n’étant envisageable avant des années, certains intervenants (Alain Claeys, Jean-Claude Ameisen, Axel Kahn…) ont demandé à supprimer la condition “thérapeutique” de la loi.
Axel Kahn a ainsi défendu l’idée d’autoriser la recherche sur l’embryon pour la seule connaissance scientifique. D’après lui, le moratoire actuel est “stupide“, d’autant plus qu’il n’y a aucune raison morale suffisante d’interdire la recherche sur l’embryon. Pour lui, la valeur importante en matière de bioéthique est celle de la réciprocité (“mes droits doivent être aussi ses droits“). Il a aussi évoqué les risques majeurs de la science, appelés “icônes corruptrices” dont la passion scientifique, l’argent, la compétitivité et la tentation de nier l’humanité du “matériau” de recherche. Il a en même temps rappelé sa définition de l’embryon humain : “l’embryon est le début éventuel d’une vie humaine“.
Claude Huriet, président de l’Institut Curie et membre du Comité international de bioéthique, a souligné le glissement qui s’opérerait si l’on supprimait le mot “thérapeutique” : passer du bénéfice thérapeutique à celui de la seule connaissance scientifique change profondément la nature du débat…
Revenant sur la découverte révolutionnaire de Shinya Yamanaka (cf. Synthèse de presse du 21/11/07), Claude Huriet se demande si le législateur s’appuiera sur ces avancées bouleversantes. Jean-Claude Ameisen montre lui le formidable espoir que les travaux de Yamanaka font naître. Il remarque notamment que 10 ans se sont écoulés entre la première brebis clonée et les premiers primates clonés ; que 15 ans ont été nécessaires pour passer de la connaissance des cellules souches embryonnaires de souris aux cellules souches embryonnaires humaines ; alors qu’il a fallu à peine 1 année à Shinya Yamanaka pour passer de sa découverte sur l’animal (publiée en août 2006) à son application à l’homme.
Catherine Labrousse-Riou, professeur de droit (Université Paris I), a abordé le problème du don d’ovocytes et de gamètes. Elle rapelle qu’on ne peut pas considérer les gamètes de la même façon que les autres cellules du corps humain ; ce serait faire fi de la nature même des choses. La gestation pour autrui (mère porteuse), qui est engendrer un être humain pour quelqu’un d’autre, remet en cause le principe de filiation en séparant la maternité génétique de la maternité gestationnelle. Pas une société ne peut échapper à ce système de parenté : l’identité généalogique est fondamentale, structurante pour tout être humain. Elle rappelle que le principal intéressé par ces question est l’enfant et qu’il ne faut pas l’oublier… Alors que l’on parle sans cesse de droits de l’enfant, la science a le pouvoir de restaurer, de manière archaïque, une puissance parentale beaucoup plus forte que par le passé ; cette pression s’exerçant in utero. Elle met en exergue la contradiction qu’il y a entre le fait de développer les tests de paternité et donc de valoriser le facteur biologique tout en le niant via le don de gamètes anonyme et la destruction du lien de filiation introduit par la pratique des mères porteuses.
Jean-Sébastien Vialatte a demandé quels étaient les effets de la stimulation ovarienne, à long terme, sur les femmes donneuses d’ovocytes et le nombre de personnes qui vont à l’étranger pour recourir à la gestation pour autrui. Le professeur René Frydman, chef de service de gynécologie obstétrique à l’hôpital Antoine Béclère, a répondu qu’il n’y a aucune conséquence sur les donneuses d’ovocytes et que personne ne dispose de données précises sur le nombre de couples qui vont suivre à l’étranger un processus de gestation pour autrui.
Bertrand Mathieu, professeur de droit (Université Paris I), est intervenu sur les tests génétiques et la médecine prédictive.
Arnold Munnich, chef du service de génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades, est convaincu que libéraliser davantage la recherche sur l’embryon ne permettrait aucun essor. Il s’est élevé contre ceux qui s’estiment bridés par la loi actuelle. Pour lui, la recherche en France, n’est pas contrainte, du moment que les projets sont scientifiquement crédibles.
Il a insisté sur la nécessité de ne pas vendre de rêve au public, en citant notamment les discours grandiloquents sur la thérapie génique avec lesquels on a bercé l’opinion publique depuis 20 ans. Or, rappelle-t-il, 20 ans après les premiers travaux sur le gène responsable de la myopathie de Duchenne, la recherche en est toujours au même point.
Il a évoqué cette erreur afin que l’on ne la commette pas à nouveau avec la recherche sur les cellules souches embryonnaires… “Depuis 20 ans, on a fait naître chez les patients de faux espoirs, à coup de grands discours grandiloquents, alors qu’aucune avancée n’a jamais été due à la thérapie génique.” Le “tout thérapie génique” relève, selon lui, de l’idéologie et non pas de la science.
Concernant la recherche sur l’embryon, il a évoqué trois possibilités pour la prochaine loi : libéraliser, prolonger le moratoire existant ou revenir en arrière (comme cela s’est déjà vu, pour les OGM, par exemple).
Didier Houssin, directeur général de la santé au Ministère de la Santé, est revenu sur la loi de bioéthique de 2004 qui compte 27 décrets dont 20 sont déjà sortis et 2 sont en lecture au Conseil d’Etat. Il a énuméré les thèmes qui seront abordés au cours des discussions sur la révision de la loi de 2004 :
– la Convention d’Oviedo que la France n’a pas ratifié ;
– le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), ses missions, ses objectifs ; la nécessité d’avoir ou non une autorité indépendante de ce type ;
– l’Agence de la biomédecine, ses résultats, ses fonctions ;
– le moratoire sur la recherche sur les cellules souches embryonnaires ; le clonage thérapeutique ; la procréation médicalement assistée (PMA) pour les personnes seules, les couples homosexuels, la gestation pour autrui… ;
– le statut du fœtus (au regard du nombre croissant de “foeticides” lors d’accidents sur des femmes enceintes et après l’affaire des fœtus de St Vincent de Paul) ;
– les greffes : consentement présumé, gratuité, anonymat…
Carine Camby, directrice de l’Agence de la biomédecine, a précisé qu’il n’y avait aucun calendrier détaillé pour le processus de révision de la loi de bioéthique. Prévue en 2009, la révision pourrait avoir lieu plus tardivement, jusqu’en 2011, l’important, pour elle, étant que cette révision se fasse dans les cinq ans après la création de l’Agence de la biomédecine.
Jean-Sébastien Vialatte souhaite que la France ne se calque pas sur le modèle anglo-saxon en matière de bioéthique. Arnold Munnich appelle lui la France à faire entendre ses principes fondés sur les valeurs judéo-chrétiennes, surtout lorsqu’elle sera à la présidence de l’Union européenne.
[NDLR : Au vu de l’état de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et des résultats obtenus avec les cellules souches adultes, notamment celles issues du sang de cordon, les mentions légales de “progrès thérapeutiques majeurs” (notion largement mise en avant afin d’acquérir les voix de l’opinion publique) et d'”alternative d’efficacité comparable” risquent de compromettre les autorisations de recherche sur l’embryon… On comprend donc l’insistance avec laquelle certains intervenants ont demandé à ce que l’exigence thérapeutique disparaisse de la loi.]
Gènéthique – Le Monde (Paul Benkimoun) 01/12/07 – Le Quotidien du Médecin 04/12/07