Accouchement sous X et respect de l’anonymat de la mère: un droit conforme à la Constitution

Publié le 30 Juin, 2012
Saisi le 16 mars 2012 d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le droit en vigueur relatif à l’accouchement sous X. En France, entre 600 et 700 femmes seraient chaque année concernées. Malgré cette décision de conformité, le débat est cependant loin d’être apaisé : les enfants nés sous X réclament le droit de connaître leurs origines. La difficulté consiste donc à trouver ce point d’équilibre délicat entre le droit de la mère et celui de l’enfant.
 
Accouchement sous X : le droit en vigueur
 
– L’accouchement sous X en France
 
L’accouchement sous X consiste en la “faculté pour une femme d’abandonner son nouveau né aux services de l’État et le droit de demeurer anonyme aux yeux de la société.” Cette possibilité est “généralement considérée comme une garantie contre l’accouchement clandestin, l’abandon sauvage et l’infanticide.(1) La loi du 8 janvier 1993 (2) a introduit ce dispositif dans le Code Civil, en insérant un article 341-1, selon lequel : “lors de son accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé.”
 
– L’accès aux origines personnelles : une conciliation nécessaire entre le droit de la mère et le souhait de l’enfant
 
La loi du 22 janvier 2002 (3) a tenté de concilier le “caractère absolu du droit de la mère d’accoucher (…) sans révéler son identité et le souhait de l’enfant de connaître ses origines. (4) Les articles L. 222-6 et L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles, issus de cette loi, portent, respectivement, sur le droit de toute femme d’accoucher dans le secret et la procédure permettant une possible réversibilité de ce secret à la demande de l’enfant.
En effet, les informations relatives à l’identité de la mère biologique peuvent, sous réserve de l’accord exprès de celle-ci, être communiquées à l’enfant, si ce dernier en fait la demande auprès du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop). Cependant, la mère a également la possibilité de refuser explicitement que soit levé le secret de son identité. Dans ce cas, l’enfant ne pourra pas accéder à cette information, même après le décès de sa mère.
 
– Un équilibre conforme à la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)
 
Cette possibilité, qui permet à la mère de préserver le secret de son identité, même après son décès, a été contestée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui a statué par un arrêt Odièvre (5) le 13 février 2003. Mais, après avoir observé que la requérante avait tout de même eu accès “à des informations non identifiantes sur sa mère (…) lui permettant d’établir quelques racines de son histoire“, la Cour a conclu que l’équilibre recherché par la législation française entre le respect du droit de la mère et le souhait de l’enfant, n’était pas contraire à l’article 8 de la CEDH, selon lequel chacun a droit au respect de sa vie privée.
 
La préservation de l’identité de la mère jugée conforme à la Constitution
 
– La décision du Conseil constitutionnel
 
 
Mathieu Evers, né sous X, contestait les articles L. 222-6 et L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’ils autorisent une femme à accoucher sans révéler son identité, et ne permettent la levée de secret qu’avec son accord, ou, en cas de décès, uniquement si elle n’a pas exprimé de volonté contraire. Selon lui, ces dispositions violaient son droit au respect de la vie privée et à mener une vie familiale normale.
Suite à cette requête et par décision du 16 mars 2012, le Conseil constitutionnel a considéré que la conciliation opérée par la loi française entre d’une part, “le respect de manière effective (…) de la volonté exprimée par [la mère] de préserver le secret (…) de son identité“, et d’autre part l’objectif consistant à “faciliter la connaissance par l’enfant de ses origines personnelles” était conforme à la Constitution (6).
 
– La préservation de l’anonymat de la mère, une nécessité ?
 
Cette décision s’inscrit dans le débat relatif à la nécessité de préserver l’anonymat de la mère, lors d’un accouchement sous X. En décembre 2011, la députée Brigitte Barèges (UMP) avait déposé une proposition de loi visant à contraindre les femmes accouchant sous X à décliner leur identité sous pli fermé. Etait prévue la possibilité de révéler à l’enfant l’identité de sa mère s’il en exprimait la demande, au moment de sa majorité. S’il est possible de comprendre la détresse d’un enfant né sous X, à la recherche de ses origines, il est également nécessaire de considérer que la préservation de la loi en l’état “est fondamentale sur le plan sanitaire.” En effet, la garantie de l’anonymat permet aux femmes “d’accoucher de façon sécurisée“, et d’éviter de mettre en danger “tant leur vie, que celle du bébé (7), tout en limitant les infanticides, avortements et abandons. La législation en vigueur permet également aux femmes de laisser des renseignements relatifs à leur santé, à celle du père, aux origines de l’enfant et aux circonstances de la naissance (8). En pratique, les femmes prenant la décision d’accoucher sous X le font “dans l’intérêt de l’enfant“, et sont donc “d’accord pour laisser des informations non identifiantes (9)“. 
 
(1)http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseilconstitutionnel/root/bank/download/2012248QPCccc_248qpc.pdf
(2)Loi relative à l’état civil, la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales.
(3)Loi relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et des pupilles de l’État.
(4)http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2012248QPCccc_248qpc.pdf
(5) CEDH, 13 février 2003, Odièvre contre France, n° 42326/98.      
(6) CC, n° 2012-248 QPC, 16 mai 2012, cons. 7 à 9.         
(7) Jean-Louis Chaberneaud, pédiatre néonatologiste, responsable du SMUR pédiatrique au CHU de Clamart.
(8) Article L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles.           
(9) Estelle Kramer, sage-femme et coordinatrice de l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste (AIVI)

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