A l’occasion de la sortie de son livre "La revanche du serpent", le magazine Le Point interroge le Pr. Bernard Debré, député de Paris, chirurgien à l’hôpital Cochin. Celui-ci y développe sa perception de l’évolution de l’humanité, futur homo scientificus et défend ce qu’il appelle un "eugénisme de liberté".
L’eugénisme de liberté, selon lui, s’oppose à l’eugénisme d’Etat, imposé par le gouvernement et forcément "monstrueux". La preuve du "bienfait" de ce type d’eugénisme c’est qu’il est déjà présent dans notre société, de façon naturelle : "La recherche des anomalies génétiques du foetus et la possibilité de pratiquer un avortement thérapeutique, n’est-ce pas déjà de l’eugénisme ? Et que dire du tri d’embryons qui résulte du diagnostic préimplantatoire (D.P.I.) ? Ces pratiques sont par définition sources d’eugénisme. Simplement, si chaque couple est libre de décider, en toute liberté, il s’agit de décisions individuelles, pas de l’application d’une idéologie d’Etat." "La seule condition pour que l’eugénisme de liberté ne dérape pas, c’est le respect absolu de la décision du couple", affirme-t-il.
Et il explique que cette tendance à l’eugénisme individuel va aller en s’accentuant, sous la pression des couples qui demanderont toujours plus de D.P.I. pour éviter la possibilité d’une maladie génétique à leur futur enfant : "C’est fou, c’est dangereux, mais rien ne pourra arrêter cette évolution." Ainsi pour un couple dont chacun avait un parent atteint de la maladie d’Alzheimer, il estime normal que le D.P.I. ne leur ait pas été refusé, et dans le futur, en cas de maladie grave, pour prévenir le cancer de son enfant, par exemple.
A propos du clonage "thérapeutique", le Pr. Debré, le considère comme "une des plus grandes inventions du XXe siècle". Il ne fait aucune différence éthique entre le clonage "thérapeutique" et la greffe d’organes. Et pense que comme pour cette dernière, qui était vilipendée dans ses débuts, le clonage d’embryons sera un jour admis comme une technique en vue de la réparation d’un organe endommagé. De ce fait les embryons surnuméraires congelés pour les fécondations in vitro deviennent pour lui "des donneurs d’organes en puissance", que l’on supprime, sinon, inutilement. "Au nom de quoi ne pourrait-on pas utiliser des embryons destinés à être détruits ?", s’interroge-t-il.
Et de s’emporter contre la loi française de bioéthique : "Des milliers de vies humaines pourraient être sauvées dans un délai très bref. Les barrières législatives érigées contre la recherche en France lui font perdre des années précieuses." Il cite en exemple la Chine "en passe de devenir la référence mondiale en matière de clonage". Dans ce pays, dit-il, on propose aux femmes des fécondations in vitro gratuites, et, échange, elles donnent l’autorisation d’utiliser leurs ovules pour le clonage.
Quand le Point l’interroge sur le clonage reproductif, celui-ci reste très optimiste : "Je ne vois pas à quoi peut servir le clonage reproductif". Mais il s’y oppose néanmoins farouchement. "Je pense qu’il faut s’y opposer avec vigueur, et évidemment l’interdire, car le clonage reproductif est une injure faite à l’homme". Et d’évoquer la possibilité pour les futurs clones de faire un procès à leurs "parents", pour spoliation d’un ADN authentique et esclavage génétique.
"Le clonage reproductif est clairement contre l’homme" affirme-t-il. Mais "l’eugénisme de liberté et le clonage thérapeutique sont faits pour l’homme", estimant que "l’homme doit se servir de la science pour améliorer sa condition, pas pour remodeler la société au gré de ses caprices."
Le Point (Sophie Coignard) 28/10/05