Alors que la journée mondiale de la trisomie, le 21 mars 2010, a été l’occasion de mettre en lumière les dernières avancées de la recherche d’un traitement de la maladie, le Journal du Dimanche rapporte que "les naissances d’enfants trisomiques ont été divisées par trois" ces dernières années. Le nombre de foetus touchés par cette anomalie chromosomique a pourtant augmenté, notamment en raison de l’accroissement des maternités tardives, mais "96% des cas dépistés avant la naissance se soldent par une interruption médicale de grossesse". Pour Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, ce chiffre révèle l’eugénisme qui sous-tend le système de dépistage prénatal (DPN) en France. "Je ne juge pas les gens mais le système" précise-t-il en soulignant l’ "effet prescripteur" du DPN : bien que non obligatoire, les médecins ont l’obligation légale de le proposer systématiquement. Plus de 80% des femmes enceintes "acceptent de se soumettre à ces examens" mais "sans toujours avoir conscience de ce qu’ils impliquent". Alors que "le principe de décision éclairée est au coeur du dispositif réglementaire" du DPN, une étude de l’Inserm de janvier 2009 a montré que près de la moitié des femmes se prêtant aux divers tests de dépistage "n’ont pas conscience qu’elles pourraient être amenées à prendre d’autres décisions, faire ou non une amniocentèse et, en cas de diagnostic avéré de trisomie 21, poursuivre ou interrompre leur grossesse". En octobre 2009, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait convenu que "la différence entre obliger à dire et inciter à faire est aussi fondamentale que fragile". Il alertait sur "les risques de ‘dérive pseudo-préventive qui ne peut aboutir qu’à alimenter les perceptions stigmatisantes des personnes handicapées’ ".
Vice-présidente de l’association Trisomie 21, Sylvia Gaymard explique que "les parents n’ont pas suffisamment d’éléments pour prendre réellement eux-mêmes la décision". Elle constate que de nombreux professionnels de santé "conseillent généralement de mettre fin à la grossesse et présentent l’interruption médicale comme la seule issue possible". Selon une étude d’Annick-Camille Dumaret, psychologue ingénieur de recherche à l’Inserm, le diagnostic anténatal joue un rôle dans les réactions des personnels médicaux. Avec le diagnostic, la trisomie en quelques sorte, "ça ne devrait plus exister. Elle est vécue comme un échec obstétrical : c’est un dépistage raté". Aujourd’hui, "collectivement, on est de moins en moins prêts à accueillir les trisomiques parce qu’on estime qu’ils n’auraient pas dû venir au monde. On les désintègre pour ne pas avoir à les intégrer" constate Jean-Marie Le Méné, auteur de La trisomie est une tragédie grecque.
La Fondation de service politique publie également un article de Pierre-Olivier Arduin sur les nouvelles règles de dépistage prénatal qui ne font pas l’unanimité dans la profession médicale. Ce sont les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) – composés de gynécologues-obstétriciens, pédiatres, échographistes, généticiens et psychologues agréés par l’Agence de la biomédecine – qui ont la mission légale "de confirmer les indications d’interruption de grossesse pour motif médical". Les arrêtés du 23 juin 2009 et du 19 février 2010 (Cf. Synthèse de presse du 3/03/10) ont opéré dans leur formulation "un glissement insidieux en évoquant ‘le risque pour l’enfant à naître d’être atteint d’une maladie d’une particulière gravité, notamment la trisomie 21‘. Sur le plan symbolique, le signal est clair : l’IMG [interruption médicale de grossesse] en cas de trisomie 21 ne saurait être refusée par une équipe pluridisciplinaire puisque cette affection est qualifiée pour la première fois de maladie d’une particulière gravité". Une formulation pleine d’ambigüité qui contredit "la volonté du législateur de ne pas établir de liste de pathologies ouvrant droit à une interruption médicale de grossesse".
Par ailleurs, l’aspect technique du "dépistage combiné précoce" normalise un peu plus la détection des foetus porteurs de trisomie. Pour le docteur Joëlle Teboul, rédactrice en chef d’Abstract Gynécologie, il y a là une "dérive technocratique où ‘l’opérateur devrait être interchangeable comme l’est une machine’ et où le praticien est sommé de rendre une échographie avec un ‘code barre’ satisfaisant ‘un label qualité trisomie 21’ ".
Pierre-Olivier Arduin revient sur les risques connus de l’amniocentèse, "procédure invasive non dépourvue de dangers", dont la France détient le record mondial, puisque celle-ci est effectuée pour 11% des grossesses, et même pour 16% en Ile-de-France. Il précise que la choriocentèse (prélèvement "des villosités choriales à partir du placenta au moyen de pinces par voie utérine ou d’une aiguille par voie transabdominale") n’a pas une efficacité diagnostique absolue puisqu’il existe des trisomies 21 où la présence de trois chromosomes au niveau de la paire 21 ne touche qu’une partie des tissus placentaires sans affecter le foetus. De plus, les conséquences psychologiques néfastes sur les femmes enceintes de toutes les informations qui leur sont assénées ne sont nullement prises en compte par les recommandations réglementaires. Enfin, l’obligation d’information altère la confiance entre le médecin et sa patiente comme l’écrit le docteur Gilles Grangé : "Si les mots véhiculent à temps et à contre-temps une inquiétude à propos de la trisomie 21 alors que la grossesse est déjà là, la parfaite autonomie de la patiente n’est plus respectée. L’inquiétude grandit avec ses effets destructeurs." Obligation médicale, le dépistage généralisé en vient à ne pas respecter "le droit des femmes à ne pas être informées".
Le Journal du Dimanche (Christel De Taddeo) 21/03/10 – Liberté Politique.com (Pierre-Olivier Arduin) 19/03/10