« Toujours plus » : Le leitmotiv du comité d’éthique de l’Inserm pour la recherche sur l’embryon

Publié le 20 Oct, 2015

L’Inserm est doté d’un comité d’éthique, présidé par Hervé Chneiweiss[1] et  composé d’une quinzaine de membres. Le groupe de réflexion thématique « embryon et développement » de ce comité s’intéresse « aux recherches concernant l’obtention de cellules germinales et de gamètes à partir de cellules souches, aux recherches à visée cognitive sur l’embryon et aux recherches sur l’embryon susceptibles d’améliorer les traitements de l’infertilité et les résultats de l’assistance médicale à la procréation ». Il a déjà produit deux notes exposant les recommandations du comité d’éthique (cf. Gènéthique du 1er juillet 2014 et du 12 juin 2015), suite à sa saisine par Samir Hamamah[2], sur la question lourde de sens du « manque de recherche sur l’embryon en France ».

 

En collaboration avec le bureau des formations scientifiques et de soutien à la recherche de l’Inserm, le comité d’éthique proposait le 7 octobre une « Journée Recherche et Santé » sur le thème : « les recherches sur l’embryon humain in vitro : aspects scientifiques et éthiques ». L’occasion pour les chercheurs présents d’identifier les raisons du « peu » de projets de recherche sur l’embryon en France, « seulement 11 projets depuis 2007 » ont regretté plusieurs intervenants, et d’élaborer des stratégies pour y remédier.

 

A l’instar des précédentes journées de ce type, la position du CE est déconcertante : prenant le parti des chercheurs, il pousse à libéraliser les pratiques qu’il est censé réguler, se plaçant au sommet de l’avant-garde utilitariste et matérialiste. Il souhaite aider les chercheurs à « développer des projets dans les meilleures conditions scientifiques et éthiques », dans le but constamment rappelé d’« améliorer les performances de l’AMP[3] ».

 

La question en effet ne se pose même plus : « La recherche sur l’embryon est nécessaire ». Pour eux, les techniques d’AMP sont « insuffisantes », « on ne peut se contenter d’un taux de succès entre 17 et 30% », il faut « trouver de nouveaux marqueurs de viabilité » pour ne plus « écarter des embryons par erreur », afin d’atteindre « le but ultime : la naissance d’un enfant en bonne santé ».

 

Deux questions ont particulièrement animé le « débat » et feront l’objet des prochains travaux du comité d’éthique : « Est il envisageable de créer des embryons pour la recherche ? » et encore : « Est-il concevable d’intervenir sur l’embryon et de le modifier pour éviter la transmission de maladies ? » Avec, en fin de journée, une interrogation qui pointe tout de même : « Qui prendra le risque de faire naître un enfant issu de la recherche biomédicale ? »

 

Les « difficultés » qui « rebutent » les chercheurs et les retiennent de se lancer dans un projet de recherche sur les embryons sont multiples :

  • Les difficultés de financement en France et en Europe sont déplorées (la Communauté européenne ne finance aucune recherche impliquant la destruction d’embryons)
  • La complexité des procédures est attaquée, visant notamment l’ABM. Samuel Arrabal[4], y répond avec assurance : L’ABM « essaye de fluidifier au maximum les procédures, de rendre plus facilement accessible les embryons aux chercheurs », mais « nous sommes contraints par la loi, nous essayons d’être rigoureux dans le climat actuel tendu». « Malheureusement », ajoute-t-il.
  • La législation est également source de difficultés : jugé trop « strict », le régime des recherches sur l’embryon est un « imbroglio » déjà dénoncé dans la note de juin 2015 (cf. Gènéthique du 12 juin 2015). Ce flou entretenu depuis le décret de février 2015 jette le doute sur la légalité des autorisations de recherche délivrées par l’ABM. 
  • Les limitations culturelles freineraient aussi les chercheurs et complexifient les procédures : « Nous sommes soupçonnés de vouloir mal faire », avouent-ils.
  •  La « rareté du matériel » est évoquée avec froideur : « moins de 10% (environ 1500) des embryons sans projet parental et donnés à la recherche ont été effectivement utilisés pour la recherche depuis 2007 ».

 

Plusieurs propositions sont émises :

  • « Obtenir la confiance du public est nécessaire pour le consentement ». Les chercheurs prennent la résolution d’« être clairs, scientifiques et transparents ».
  • Une partie de l’auditoire ne comprend pas pourquoi la recherche sur l’embryon fait l’objet d’un régime à part, et souhaite « persuader le législateur que c’est du côté du dispositif sur la recherche biomédicale qu’il faut réfléchir ».On devine que faire passer la recherche sur l’embryon dans le régime général de la recherche biomédical permettrait de simplifier les procédures en catimini, alors que « si ça tombe dans le domaine de la bioéthique on n’est pas sorti de l’auberge : la loi exige des états généraux etc… » explique sans égards Laure Coulombel (Inserm).
  • Créer un meilleur circuit entre les centres d’AMP et les chercheurs ou une banque spécifique leur permettrait de « mieux utiliser » les embryons surnuméraires.
  • Enfin, le CE de l’Inserm souhaite s’appuyer surs les exemples « enthousiasmants » de l’étranger : Belgique, Royaume Uni, Chine, Etats Unis. Les intervenants « de choix » du 7 octobre venaient de ces pays, où la législation est permissive, aiguisant les désirs de « toujours plus » de ces chercheurs.

 

 « Aller plus loin », « Plus de recherche », tels sont les leitmotive d’un comité d’éthique qui décidément, encourage bien plus les chercheurs qu’il ne les interroge sur leurs pratiques… On cherche, en vain, les « aspects éthiques » annoncées lors de cette journée.

 

 

[1] Membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), directeur de recherche du laboratoire Neurosciences Paris Seine, médecin neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).

[2] Chercheur Inserm, responsable du département de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier (cf Gènéthique du 9 juillet 2015)

[3] Assistance Médicale à la Procréation

[4] Responsable du pôle Recherche de l’Agence de Biomédecine

 

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