Surveillance de l’épidémie ? Une atteinte au secret médical et à la vie privée

Publié le 15 Mai, 2020

« La fin justifie-telle tous les moyens ? » interroge le juriste Bruno Py avant d’ajouter : « Dans un état de droit, la réponse est non ».

 

Alors que le gouvernement met en place un système de surveillance pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, des voix nombreuses s’élèvent pour contester leurs points d’achoppement, celui de la levée du secret médical et d’une régression en matière de respect de la vie privée.

 

Le « système d’information » mis en place par le ministère de la santé comporte la création de deux fichiers : le premier « recense de manière nominative les résultats des tests sérologiques et virologiques (le SI-DEP, système d’information de dépistage) », qu’ils soient positifs ou négatifs, l’autre doit recueillir « les coordonnées des personnes avec lesquelles les patients infectés auront eu un ‘contact rapproché’, présentant ainsi ‘un risque d’infection’ ». Dans ce second cas, l’objectif n’est pas tant de proposer un test que de confiner « en attendant de pouvoir effectivement les tester ».

 

Si le Conseil national de l’ordre des médecins n’a pas contesté le dispositif,  considérant qu’il respectait in fine « les principes déontologiques et l’éthique de responsabilité », pour Bruno Py, « il ouvre une brèche dans la violation du secret professionnel et médical, et c’est inquiétant ». En effet, le serment d’Hippocrate précise qu’ « admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me sont confiés ». Par ailleurs, cette violation est d’autant plus grave qu’elle « relève davantage de la surveillance que de la sécurité sanitaire » et qu’elle ne sera pas d’une « grande utilité dans la lutte contre la propagation du virus ». Pour le juriste, « ce dispositif d’une faiblesse redoutable n’a d’autre but que de procurer à la population un sentiment de sécurité. (…) Il s’agit en fait d’une illusion ». Pour être efficace, il aurait fallu « pouvoir assurer une prise en charge individuelle » et « mener une politique de prévention digne de ce nom ».

 

Au terme des débats, plusieurs limites ont été ajoutées : « limitation temporelle de la durée du dispositif et de la conservation des informations personnelles, restriction des données au statut virologique et sérologique et aux examens d’imagerie médicale, droit d’opposition ou de rectification individuelle, possibilité de ne pas diffuser l’identité de la personne infectée à ses contacts ». La présidente de CNIL, Marie-Laure Denis, précise que si « les personnes malades, diagnostiquées positives » ne pourront pas « se soustraire à leur inscription dans le système », une personne « n’est jamais obligée de révélée ses contacts » et le malade « doit consentir à ce que son identité puisse être révélée à ceux qu’il a croisés les jours précédents ». De plus, « tous les acteurs n’auront pas accès à toutes les informations », le fichier « Contact Covid » en comporte 16 pour le « patient zéro »[1], « mais seulement à celles dont ils auront besoin » (cf. Traçage : le Conseil Constitutionnel limite l’accès aux données de santé)…

 

L’académie de médecine considère quant à elle que « l’identification des cas contacts ne peut s’envisager sans le strict respect du secret médical » et elle recommande « de ne pas contraindre le généraliste à rompre le secret médical en partageant des informations confidentielles avec des enquêteurs n’ayant pas vocation à les connaître ».

 

Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, demande « à combien de renoncements devrons-nous encore assister au nom de la lutte contre l’épidémie ? » Et pour Anastasia Colosimo, docteur en théorie politique, le vrai danger est à situer « du côté de la pérennisation de ces lois, autrement dit d’un état d’exception permanent. De nombreuses législations décidées dans l’urgence pour parer à la menace djihadiste dans la suite des récentes vagues d’attentats ont été ainsi versées dans le droit commun et ce précédent n’a rien de rassurant ». Regrettant qu’on puisse « vite oublier le goût des libertés perdues », elle constate que « les nouvelles normes sont solidaires d’un basculement de nos sociétés vers le nombre et le calcul, la multitude et la statistique. Ce qui implique qu’après trois siècles voués à l’idéal de l’émancipation, se profile une ère où la surveillance généralisée sera vue comme l’outil de puissance ultime ».

 

Pour aller plus loin :

Traçage à Singapour : du volontariat à la surveillance de masse

Epidémie de COVID-19 : l’expérience du « biopouvoir » ?


[1] Nom, prénom, sexe, profession, lieu d’exercice de la profession, lieux de fréquentations au cours des quatorze derniers jours, ainsi que nom, prénom, sexe, date de naissance, numéro de téléphone, adresse électronique de ses « cas contacts ».

 

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Le Figaro, Alexandre Devecchio (15/05/2020) –  Quotidien du médecin, Coline Garré (15/05/2020) – Le Point, Nicolas Bastuck (12/05/2020) – La Croix, Loup Besmond de Senneville (13/05/2020) – Libération (14/05/2020)

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