« Savourez chaque instant »

25 Oct, 2023

Elise est une adolescente de dix-sept ans hospitalisée en raison d’une maladie se compliquant de tumeurs qui se disséminent dans son corps. Peu à peu, elle retrouve le goût de vivre jusqu’au bout, et donne un élan de vie à ses parents qui l’accompagnent. Muriel Derome, psychologue en réanimation et neurologie pédiatrique à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, raconte sa rencontre avec elle.

Ce témoignage est extrait du livre « Le courage des lucioles » de Muriel Derome. Il est publié aux éditions Philippe Rey.

« Surtout ne lui dites pas qu’elle va mourir, vous ne lui parlez de rien ».

Je rassure sa maman :

Je comprends votre appréhension et mon but n’est pas d’aborder des sujets dont elle ne souhaite pas parler, mais sachez qu’elle, par contre, en parle beaucoup ! 

Elle change de couleur sous le choc de cette révélation.

Comment ça, elle en parle beaucoup ?

Voulez-vous venir un moment dans mon bureau, pour que je vous explique tout ça ?

Les parents acceptent. J’ai le trac, je ne sais quoi leur dire, ni comment les aider à se confier. Je choisis de commencer par les faire parler de leur fille avant qu’elle tombe malade. Ils semblent heureux de pouvoir me raconter les bons moments qu’ils ont vécus ensemble. Et, progressivement, nous en venons à évoquer la façon dont ils se représentent les derniers jours, puis les derniers moments avec Elise.

« J’ai tellement aimé »

Les jours suivants, je constate que la télévision n’est plus allumée en permanence, mais uniquement le temps d’un film. Les liens qui avaient été perturbés par l’adolescence et bouleversés par la maladie se renouent. Parents et enfants se remettent à échanger en profondeur, malgré les problèmes d’élocution d’Elise, à se toucher, à se regarder. Paradoxalement, c’est durant ces jours si difficiles qu’ils vont vivre leur plus grand moment d’amour. Jour après jour, Elise s’apaise. Sa sérénité bluffe les soignants, surtout ceux qui l’avaient trouvée quelques semaines plus tôt en pleine tentative de suicide.

Elise me répète souvent qu’elle est « prête ». Elle fait le bilan de sa vie et me confie : « j’ai tellement aimé… Certains ont besoin de quatre-vingt-dix ans pour aimer comme ça, mais moi, en dix-sept ans, j’ai connu des moments tellement intenses avec des amis, ma mère, mon grand-père et… un garçon ! » Nous parlons longuement de ce qu’apportent une attention réelle tournée vers les autres, le souci de faire les choses avec amour, douceur, bienveillance, le bonheur de pouvoir donner.

Instaurer un code

En phase terminale, Elise perd le peu d’autonomie motrice qui lui reste, et l’usage de tous ses sens, à l’exception de la vue et du toucher. Elle ne peut plus ni entendre ni parler, et cet état bouleverse, terrorise même ses parents. Ils ne supportent pas qu’Elise soit consciente, ils ont l’impression qu’elle est prisonnière d’un corps qui l’humilie. Sa mère tourne en rond dans la chambre où rôde dans les couloirs pour tenter d’attraper un médecin :

Est-ce qu’on ne pourrait pas accélérer le processus ? Lui donner quelque chose pour qu’elle dorme ?

Non, madame, je suis désolée. On ne peut pas, comme vous dites, “accélérer le processus”. Louis, le jeune chef de clinique, se montre ferme et inflexible.

C’est insensé de lui faire vivre ça, alors qu’elle est consciente de tout ! s’insurge la mère.

Je lui explique qu’elle a encore beaucoup à vivre avec Elise, puisque grâce à la vue une communication est encore possible. Elle me regarde sans comprendre, jusqu’à ce que je lui montre qu’il suffit d’instaurer un code. Elise n’a qu’à cligner des yeux ou tirer la langue pour désigner des lettres qu’on lui montre sur un tableau. Les lettres forment des mots, qui donnent naissance à des phrases et donc à des conversations. Ce système prend des heures, mais opère un vrai petit miracle : au lieu de faire le guet dans les couloirs, la mère profite de la possibilité d’échanger encore avec sa fille.

Une toute nouvelle intensité

Les parents se rendent compte qu’Elise, à sa manière, continue d’être dans la vie. Le monde de leur fille, qu’ils considéraient quelques jours plus tôt comme impénétrable ou éteint, leur apparaît avec une toute nouvelle intensité.

Ils s’émerveillent de la façon dont leur fille relève chaque détail : « tu as vu la beauté du rayon de soleil qui entre dans ma chambre ce matin ? », « tu as vu les nuages aujourd’hui ils sont incroyables ! », « ce matin j’ai beaucoup aimé la douceur des draps propres sur mon corps ».

Un jour, tandis qu’il se met à neiger, Elise demande à aller une dernière fois dans son fauteuil pour s’émerveiller de la douceur et de la beauté des flocons qui tombent silencieusement du ciel. Elle sait que ce sont les derniers qu’elle voit. Elle ne veut pas en rater un seul et surtout elle veut nous inviter à en faire autant. Son attitude nous dit : « regardez comme la vie est belle. Savourez cet instant, chaque instant ».

Elise meurt quelques jours plus tard, entourée de ses proches. Elle avait consenti à la mort, elle est partie le cœur tranquille. Comme elle me l’avait demandé, je transmets à sa mère quelques textes qu’elle aimait particulièrement. Ils pourront, s’ils le désirent, être lus à son enterrement.

 

Cet extrait est publié avec l’accord de l’auteur.

 

Photo : iStock

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