Le rapport de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique présenté par Jean Leonetti a été rendu public mercredi 20 janvier 2010. Comme le note le député UMP-PCD des Yvelines Jean-Frédéric Poisson, “le rapport n’a pas été l’occasion d’une remise en cause profonde des principes et de pratiques dont la validité scientifique, médicale et éthique est désormais clairement remise en cause“, mais il marque en plus un pas supplémentaire dans la transgression. Il s’avère particulièrement alarmant par rapport à la recherche sur l’embryon, l’extension du diagnostic préimplantatoire pour les enfants trisomiques 21, et le rôle dévolu à l’Agence de biomédecine..
Recherche sur l’embryon
Les lois de bioéthique de 2004 interdisent la recherche sur les embryons surnuméraires, sauf dérogations pour une durée de cinq ans. Les autorisations ne devaient être délivrées par l’Agence de la biomédecine (ABM) qu’à deux conditions : que le projet de recherche ait une “finalité thérapeutique” et qu’il n’y ait pas “d’alternative d’efficacité comparable“.
Dans la réalité, l’ABM a immédiatement et systématiquement fait entorse à ces conditions et certains proposent aujourd’hui que le régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon soit levé au profit d’un régime d’autorisation assortie de conditions. “Le moment est venu de libérer cette recherche de toute contrainte“, a déclaré le député PS Alain Claeys, président de la mission parlementaire d’information, le 20 janvier.
L’interdiction vidée de son sens
Les propositions 43 et 44 du rapport maintiennent pourtant le principe d’interdiction pour sa valeur symbolique, mais modifient tellement les conditions de dérogation qu’elles le vident de son sens. Le moratoire serait levé et les recherches autorisées à titre d’exception ne seraient plus limitées dans le temps. Par ailleurs, l’exigence de “finalité thérapeutique” serait remplacée par une “finalité médicale“, contrainte à contenu beaucoup plus faible puisqu’elle n’exclut que les recherches relevant de la cosmétologie. Enfin, et alors même qu’il existe aujourd’hui des méthodes alternatives d’efficacité non seulement comparable, mais encore supérieure avec le développement des recherches sur les cellules souches adultes et cellules iPS, le rapport propose de supprimer “la condition limitant les recherches à celles qui ne peuvent pas ‘être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques’”.
Pour le rapporteur Jean Leonetti, il n’est pas absurde de poser ainsi dans le même temps l’interdiction et la suppression des conditions contraignantes à la dérogation : “Il y a de grands principes et des applications, donc des situations particulières. Il faut interdire parce que c’est un principe. On a dit ce qui est totalement interdit : l’expérimentation sur l’embryon destiné à naître. Aujourd’hui, on sait qu’il y a des embryons congelés destinés à être détruits. Donc s’il y a une transgression, c’est de détruire l’embryon, pas de prélever une cellule avant de le détruire“.
Ces mesures sont motivées par des raisons financières et la liberté de la recherche. Le souci de rentabiliser les millions investis dans la recherche sur l’embryon a en effet conduit à un commerce très lucratif de techniques de criblage de molécules sur cellules souches embryonnaires humaines auprès de laboratoires pharmaceutiques. Le laboratoire pharmaceutique suisse Roche a ainsi signé un partenariat de recherche de 7,5 millions d’euros avec le laboratoire public de biologie français I-Stem en juillet 2009. Par ailleurs, Jean Leonetti a affirmé que “réfléchir sur les lois, c’est à la fois libérer la recherche médicale, car il ne faut pas mettre de frein à la recherche intellectuelle de l’homme, surtout si elle est orientée vers l’amélioration de la santé humaine et notamment celle des plus vulnérables, et en même temps préserver la dignité humaine, c’est un conflit de valeurs “.
Que préconiser ?
Il conviendrait d’adopter un régime strict d’interdiction de la recherche sur l’embryon sans dérogation et dedévelopper les solutions de recherche alternatives : recherche sur les cellules souches adultes et de sang de cordon qui sont déjà utilisées pour des applications thérapeutiques, recherche sur les cellules reprogrammées (iPS) qui remplacent sans dommage éthique et avantageusement les cellules embryonnaires, et recherche sur les cellules embryonnaires animales.
Si des dérogations sont faites, il faut garder un régime d’interdiction, avec maintien des conditions actuelles de dérogation, maintien du moratoire pour ne pas pérenniser la pratique et contrôle par le Parlement pour limiter les dérives constatées.
Création d’embryons pour la recherche
La proposition 15 s’avère également inquiétante. Elle conseille de “maintenir l’encadrement actuel concernant la conception, la congélation et le devenir des embryons surnuméraires“. Or, le décret d’application du 6 février 2006 contredit dans les faits l’interdiction de la conception d’embryons pour la recherche affirmée par la loi de 2004. Ce décret dispose en effet que dans le cadre d’une Assistance médicale à la procréation (AMP), le couple a la possibilité de “consentir dans le même temps par écrit à ce que les embryons qui ne seraient pas susceptibles d’être transférés ou conservés, fassent l’objet d’une recherche“. Cet accord préalable pour l’avenir de l’embryon revient de facto à concevoir des embryons surnuméraires à fins de recherche. Il faut prévoir de modifier ce décret qui transgresse la loi.
Clonage
L’interdiction de tout type de clonage est maintenue avec cependant la précision suivante : “des membres de la mission estiment que la question des transferts nucléaires dans un but de recherche médicale, avec interdiction d’implantation et sous réserve de la disponibilité d’ovocytes humains, doit demeurer en débat“.
DPI et trisomie 21
Le deuxième motif de préoccupation concerne l’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI) aux enfants atteints de trisomie 21. Suivant la proposition de l’avis n°107 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), rendu le 17 novembre 2009 (voir Lettre mensuelle Gènéthique n°119), la proposition 26 suggère d’ajouter la détection de la trisomie 21 au diagnostic préimplantatoire (DPI). La trisomie 21 deviendrait ainsi la première et la seule maladie explicitement mentionnée comme susceptible de faire l’objet de ce diagnostic, ce en contradiction avec le premier paragraphe de cette même proposition qui marque la volonté de maintenir “l’absence a priori d’une liste des maladies susceptibles de faire l’objet de ce diagnostic” ainsi que le stipule la loi.
Lors de son audition devant la mission parlementaire (31 mars 2009), le Pr Israël Nisand, chef du service de gynécologie-obstétrique du CHU de Strasbourg, avait donné une justification économique à l’éradication des personnes trisomiques : “Oui, nous choisissons les enfants à naître dans notre pays et depuis longtemps, même si cela ne nous plaît pas. Sachez qu’avec le recul de l’âge des mères- 4 ans en 20 ans- 1600 trisomiques supplémentaires sont conçus chaque année. Ils sont aujourd’hui 30 000, avec une espérance de vie de soixante-quinze ans. Si l’on comptait les 1600 trisomiques supplémentaires par an, l’argent de l’Etat ne suffirait pas à pallier leur dépendance. Aussi, vous ne pourrez interdire la mise sur le marché d’un test de dépistage de la trisomie 21 par la prise de sang. Et si vous ne le faisiez pas, le sang serait envoyé à Las Vegas“.
Cette proposition marque un pas supplémentaire dans l’escalade de l’eugénisme :
– parce qu’elle modifie la nature du DPI en introduisant un élément d’appréciation subjectif. Le recours à cet examen pour la trisomie 21 n’est pas justifié par la prise en compte du passé familial du couple puisque cette maladie est une maladie génétique, mais non héréditaire. Ce qui prévaut est donc uniquement le rejet social de la trisomie 21, déjà créée, entretenue et financée par l’Etat à travers sa politique de dépistage généralisé.
– parce qu’elle conclut, par avance, que des parents se soumettant au DPI pour éviter la naissance d’un enfant atteint d’une maladie héréditaire ne tolèrent pas non plus – par principe – la naissance d’un enfant trisomique. Un enfant trisomique conçu in vitro et soumis au DPI est présumé mort.
– parce qu’elle conclut, par avance, que des parents se soumettant au DPI pour éviter la naissance d’un enfant atteint d’une maladie héréditaire ne tolèrent pas non plus – par principe – la naissance d’un enfant trisomique. Un enfant trisomique conçu in vitro et soumis au DPI est présumé mort.
Pour le député UMP Jean-Marc Nesme, “la stigmatisation de la trisomie 21 dans la loi, serait, pour les familles ayant eu ou ayant un enfant trisomique, insupportable. Il ne nous appartient pas de déterminer le seuil d’humanité“.
Cette disposition intervient alors même que des progrès importants sont faits dans la recherche d’un traitement de la trisomie 21. Ainsi, le 18 novembre 2009, des chercheurs américains de l’université de Stanford, en Californie annonçaient avoir réussi à rétablir les capacités intellectuelles de souris de laboratoires trisomiques 21.
AMP et transfert d’embryon post-mortem
Pour l’Assistance médicale à la procréation (AMP), le rapport propose de maintenir son recours dans le cadre d’une finalité médicale. Il assouplit les conditions que les couples doivent remplir mais conserve celle selon laquelle le couple doit être composé d’un homme et d’une femme. Il maintient l’interdiction de l’insémination post-mortem et de la gestation pour autrui (mères porteuses) et facilite la possibilité pour un couple infertile d’accueillir les embryons surnuméraires d’un autre couple. La proposition 19 recommande ainsi de lever le caractère exceptionnel de cette alternative au don à la recherche et à la destruction de l’embryon.
Serait désormais également possible “le transfert post-mortem d’embryon à titre exceptionnel lorsque le projet parental a été engagé mais a été brutalement interrompu par le décès du conjoint“. Le transfert pourrait être autorisé par l’ABM après un délai de 3 à 6 mois de veuvage et jusqu’à 18 mois ou 2 ans après le décès du conjoint, ce pour “permettre éventuellement une deuxième tentative“.
Diagnostics anténataux (DPN et DPI)
Dans le cadre du diagnostic préimplantatoire, le dispositif du bébé-médicament, ou double DPI, est maintenu contrairement aux avertissements du Conseil d’Etat qui souhaitait que sa suppression soit très sérieusement envisagée. En cas de maintien de cette disposition, il serait en tout cas souhaitable de maintenir le caractère expérimental du dispositif.
La proposition 27 entérine par ailleurs la sélection des embryons par DPI pour certaines prédispositions au cancer.
Don d’organes
La proposition 54 qui stipule de fixer des objectifs chiffrés au recensement de donneurs en état de mort encéphalique doit être abordée avec précaution afin d’éviter toute pression pour obtenir des organes. On s’étonne également que le rapport ne fasse pas mention de la volonté émise par le panel lors des Etats-Généraux de la bioéthique de revenir sur le consentement présumé qui régit le prélèvement d’organes. Concernant les cellules souches de sang de cordon, la proposition 68 invite l’ABM à mener des campagnes d’information contre la conservation autologue de sang de cordon. Il serait plutôt souhaitable d’encourager des campagnes de don de sang de cordon.
Rôle de l’ABM
Le rapport préconise de ne plus réviser la loi tous les 5 ans. En cas d’évolution, seule est évoquée la nécessité d’avoir recours à l’ABM, au CCNE et à des Etats-Généraux. Nulle part il n’est question du débat et du vote parlementaires. Il convient donc d’être très vigilant sur ce point afin que le débat démocratique ne soit pas confisqué au profit d’agences qui seraient juges et parties.