Révision de la loi de bioéthique : la mission parlementaire poursuit ses auditions

Publié le 10 Sep, 2018

Jeudi dernier, dans le cadre de la mission d’information sur la révision de la loi de bioéthique, trois personnalités étaient auditionnées : le philosophe Pierre Le Coz[1], la juriste Anne-Marie Leroyer[2], et le biologiste Jacques Testart[3]. Cette mission, présidée par le député Xavier Breton, a été créée en juillet pour préparer les débats et informer les parlementaires sur les enjeux de cette loi (cf. Lancement jeudi à l’Assemblée nationale de la mission d’information concernant les révisions de la loi de bioéthique). Ces auditions ne sont ni les premières, ni les dernières, mais elles n’ont rassemblé qu’une dizaine de députés.

 

Pierre Le Coz, qui intervenait le premier, s’est attaché à la question de la « PMA pour toutes ». Alors que le souci des générations futures est aujourd’hui partagé par tous, comme le démontre la volonté de limiter la pollution ou encore de réduire la dette publique, ne faudrait-il pas aussi s’inquiéter de l’avenir des enfants issus de PMA sociétales ? « Ces PMA ne susciteraient-elles pas des risques excessifs pour l’équilibre psychique des enfants ? ». La « PMA pour toutes » étant plutôt « l’exception que la règle » à l’international, ne vaudrait-il mieux pas exercer la même prudence ?

 

Dans le cas d’une PMA pour une femme seule, le risque est celui de l’insécurité qui en résulte pour l’enfant. En outre, éduquer un ou plusieurs enfants seule est souvent difficile. La société considère d’ailleurs l’absence de père comme un préjudice, et ces femmes sont aidées financièrement. Transformer un préjudice en droit, n’est-ce pas s’empêtrer dans des contradictions ?

 

Dans le cas d’une PMA pour un couple de femme, l’enfant perd le secret de son mode de conception. A l’école, sur les lieux de loisirs, l’enfant ne devra-t-il pas faire face à des remarques, des questions, être sujet de curiosité ? Des exemples concrets que Pierre Le Coz opposera de nouveaux aux réactions des députés lors de la discussion.

 

Dans les deux cas, il s’agit de créer des enfants sans pères, un paradoxe pour une époque où les pères investissent davantage la paternité que dans les sociétés antérieures. Une loi qui dirait que les pères sont facultatifs, « si vous avez un père tant mieux, si vous n’en avez pas tant pis », risquerait de troubler ce progrès. « Le père est important, essentiel, son rôle est complémentaire de celui de la mère. Nous avons autant besoin des pères que des mères », rappelle-t-il en citant un sondage réalisé à l’occasion de la fête des pères. En outre, une telle loi réintroduirait un fort clivage entre les hommes et les femmes.

 

 

Anne-Marie Leroyer, seconde intervenante de la matinée, s’est attachée à préciser la notion de filiation. Elle défend l’idée que celle-ci devrait reposer sur un acte de volonté quelle que soit l’orientation sexuelle des parents et qu’ils soient mariés ou non. Au nom de l’égalité, elle propose cet unique principe, mais peu de députés présents discuteront son intervention.

 

Pour finir, Jacques Testart a traité de l’usage des technologies biologiques dans la procréation humaine. Le don de gamètes est pour lui problématique car il implique le choix du père biologique par les praticiens. Un véritable tri s’effectue pour « apparier » les donneurs, selon des critères « opaques » : le « pouvoir eugénique » des praticiens est « potentiellement sans limites ». Sur l’eugénisme, interrogé par le député Jean-Louis Touraine, le biologiste rappelle que « ce n’est pas la violence autoritaire qui caractérise l’eugénisme mais la volonté plus ou moins consciente d’améliorer l’espèce », une volonté « de plus en plus pressante dans la biomédecine ». Cette sélection se poursuit ensuite avec le diagnostic préimplantatoire, de façon « bienveillante » et « consensuelle ».

 

On parle aujourd’hui de CRISPR, de modification génétique de l’embryon, de bébés à trois parents : sur tous ces sujets, Jacques Testart recommande la prudence. Les techniques sont loin d’être au point, le principe de précaution doit s’appliquer.

 

Enfin, en tant que président de l’association Sciences citoyennes, il déplore l’organisation des états généraux de la bioéthique au début de l’année : une « offensive organisée des défenseurs d’une science mythifiée ». Alors que le CCNE s’est déjà prononcé sur bon nombre des sujets débattus, comment peut-il mener un débat citoyen ? Il rappelle que « la question de la bioéthique est celle de la limite » : nous devons ériger « des bornes infranchissables » plutôt que de laisser place à une « permissivité progressive et indéfinie par l’addition de nouvelles exceptions à ce qui était auparavant présenté comme la règle ».

 

A l’issue d’une matinée chargée, marquée par l’intervention de personnalités des tous bords, un sujet phare domine, celui de l’extension des indications de la PMA. A ce propos, les réactions épidermiques de certains députés laissent entrevoir des débats houleux à l’Assemblée.

 



[1] Professeur de philosophie à la Faculté de médecine de Marseille  et président du comité de déontologie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail.

[2] Professeur des universités (droit privé et sciences criminelles).

[3] “Père” du premier bébé éprouvette.

 

 

 

 

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