Projet Loi Santé : Les enjeux de l’amendement de la recherche sur l’embryon

Publié le 24 Avr, 2015
Dans le projet de loi Santé voté le 14 avril par l’Assemblée nationale, le gouvernement a introduit un amendement libéralisant la recherche sur l’embryon humain. Cet amendement n°2509, adopté en catimini le 10 avril 2015, crée un nouveau régime de recherches sur  l’embryon : un régime spécifique en lien avec l’assistance médicale à la procréation (AMP).
 
De 1994 à 2013, un régime d’“études sur l’embryon” existait. Son objectif visait notamment “à développer les soins au bénéfice de l’embryon” et à améliorer les techniques d’AMP. Ces études ne devaient pas porter atteinte à l’embryon, avant son transfert dans l’utérus à des fins de gestation.
 
En 2013, le législateur a supprimé ce régime des études sur l’embryon. Depuis, le comité d’éthique de l’INSERM a publié une note le 18 juin 2014 (décryptage Gènéthique), où il demande un cadre pour effectuer des recherches sur l’embryon en lien avec l’AMP.
 
Un décret d’application illégal
 
Le gouvernement a répondu positivement à cette demande, en publiant, le 13 février dernier, un décret d’application de la loi du 6 août 2013 (loi relative à la recherche sur l’embryon).
Si en apparence, il s’agit de répondre au souhait de rétablir le régime des études, en fait, le gouvernement crée un nouveau régime qui autorise à chercher sur l’embryon dans le cadre de l’AMP.
 
Cependant, ce décret n’a pas de base légale. On le découvre dans l’exposé des motifs de l’amendement 2509 introduit le 10 avril dans le projet de loi santé : “Le Conseil d’État, saisi du projet de décret d’application de la loi de 2013, a estimé que les dispositions législatives existantes en matière de recherches biomédicales ne pouvaient, à elles seules, servir de base légale au dispositif réglementaire de recherches biomédicales en AMP. Il a considéré que les recherches de cette nature devaient être expressément prévues par le législateur”.
 
Ainsi, le gouvernement a introduit « l’amendement recherche » dans le projet de loi santé le 10 avril pour rendre possibles des recherches sur embryons transférables à des fins de gestation. Si elle donne l’apparence de ressusciter le régime des études, cette disposition poursuit en fait l’extension de la libéralisation de la recherche sur l’embryon en France (libéralisation initiée à titre expérimental en 2004, confirmée en 2011, et considérablement élargie en 2013).
 
Des études qui détruisent les embryons ne sont pas des études.
 
Ce nouveau régime de recherche sur l’embryon ne mentionne plus l’essentiel du régime des études : l’obligation de bénéficier à l’embryon et ce faisant évidemment de ne pas attenter à sa vie. Dès lors rien ne s’oppose à ce que l’embryon humain soit détruit par les interventions des chercheurs.
Autre conséquence de la création de ce nouveau régime : certaines recherches sur l’embryon échapperont au contrôle de l’Agencecde la biomédecine (ABM), alors que toutes ces recherches sont soumises à autorisation de l’ABM (article L.2151-5 du code de la santé publique), la création de ce nouveau régime conduit à créer un statut particulier de recherches sur l’embryon, sans contrôle de l’ABM.
 
Mise en garde des professeurs Jacques Testart et Alain Privat
 
Face à l’enjeu de cette disposition (destructions et manipulations d’embryons humains), deux experts Gènéthique ont réagi. Pour Jacques Testart1, ce nouveau régime de recherche sur l’embryon va ouvrir “des pistes nouvelles (…) pour intensifier la recherche sur l’embryon lui-même, dont la création d’embryons pour la recherche d’une part et la possibilité de transfert in utero des embryons après recherche d’autre part”.
 
Comme le fait justement remarquer le Pr Alain Privat2, l’expression de “recherches biomédicales menées dans le cadre de l’AMP (…) ne veut pas dire que ces recherches auront pour but de traiter l’infertilité du couple”. Il y voit “un moyen de contourner l’interdiction de fabriquer des embryons pour la recherche en créant des voies parallèles d’accès à
l’embryon pour les chercheurs.”
 
Dérives eugénistes et transhumanistes
 
Le nouveau texte adopté par les députés prévoit que les recherches biomédicales pourront être réalisées sur l’embryon fabriqué in vitro, avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple y consent. Il n’y a aucune autre précision sur la nature des recherches qui seront effectuées : le champ des possibles est donc infini. Corrections génétiques, amélioration de l’embryon… ouvrent la voie au rêve prométhéen de l’homme augmenté.
Pour le Pr Alain Privat, “il sera bientôt possible par exemple de modifier l’hormone somatotrope qui influe sur la taille d’un être humain, et on pourra alors intervenir sur les embryons au stade pré ou post implantatoire”. Il précise : “Les recherches dans le cadre de l’AMP pourront être destructrices de l’embryon humain, mais pire encore : elles pourront réaliser des modifications sur l’embryon humain, via la thérapie génique. Encore une fois, on ouvre la porte à l’homme augmenté.” Un autre chercheur complète l’analyse en s’interrogeant sur l’encadrement : “Donner carte blanche à la recherche avec pour seul garde-fou le consentement des parents serait prendre un risque considérable “.
Enfin, ce nouveau régime de recherche porte également sur les “gamètes destinés à constituer un embryon”. Il renvoie ainsi aux “FIV à 3 parents” récemment autorisées au Royaume-Uni après un débat national. De nombreuses voix se sont élevées en France pour dénoncer la fabrication de ces bébés “à 3 parents”. On peut craindre que la France emprunte cette voie.
 
Suppression des études sur l’embryon en 2013 : hasard ou oubli stratégique ?
 
Si le Sénat, quand il examinera à son tour le projet de loi santé, confirme la création de ce nouveau régime de recherche sur l’embryon, on imagine la satisfaction des promoteurs de cette recherche. Lors du débat en 2013 pour obtenir le régime d’autorisation, avaient-ils en tête que dans les mois qui suivaient, par le jeu des décrets d’application, plusieurs garde-fous allaient être balayés de la main, en catimini, sans aucun débat démocratique et dans l’indifférence générale ?

 

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