Les critères de la mort contestés
Un article publié le 3 septembre 2008 en première page de l’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican, lance un pavé dans la mare en contestant que le concept actuel de mort cérébrale suffise à déclarer la mort. Cet article est publié à l’occasion du quarantième anniversaire du “rapport” de Harvard (1968), qui a remplacé l’arrêt cardio-vasculaire comme signe de la mort clinique par celui de l’électroencéphalogramme plat. Or, selon l’auteur de l’article, “la justification scientifique d’un tel choix est remise en cause par de nouvelles recherches” et ce “quarantième anniversaire de la nouvelle définition de la mort cérébrale semble l’occasion de rouvrir la discussion sur les plans scientifiques comme au sein de l’Eglise catholique“. L’enjeu pour l’auteur est d’interroger sur la légitimité du prélèvement d’organes, non pas en tant que tel, mais tel qu’il est pratiqué aujourd’hui avec les critères actuels de la mort. Il pose au fond la question de savoir si le mort, le “donneur d’organes”, est bien mort quand on lui prélève ses organes. S’appuyant sur des publications et des analyses d’experts, l’article met en doute cette “certitude“. Citant des cas de femmes enceintes dans un coma irréversible ayant été maintenues en vie pour permettre la naissance de l’enfant, l’article affirme que “l’idée que la personne humaine cesse d’exister quand le cerveau ne fonctionne plus (…) entre en contradiction avec le concept de la personne de la doctrine catholique et avec les directives de l’Eglise face aux cas de comas persistants“. Le Père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Vatican observe que l’article est “une contribution intéressante et de poids” mais qu’il “ne peut être considéré comme une position du Magistère de l’Eglise” et cite le discours de Jean-Paul II du 29 août 2000 aux participants du congrès international de la Société des transplantations.
Prélèvement éthique
Dans ce discours, le Pape Jean-Paul II rappelait que, dans la Lettre Encyclique Evangelium vitae, il avait suggéré qu’une façon de promouvoir une véritable culture de la vie “est le don d’organes, accompli sous une forme éthiquement acceptable, qui permet à des malades parfois privés d’espoir de nouvelles perspectives de santé et même de vie” (n°86). Toutefois, il précisait aussitôt dans son discours que “comme tout progrès humain, ce domaine particulier de la science médicale (…) soulève également certains points critiques“. D’une part, pour que ce prélèvement soit éthique, il faut nécessairement avoir un accord informé et libre de la part du donneur puis du receveur. D’autre part, pour le prélèvement des organes vitaux, il faut, pour préserver la dignité du donneur, avoir la certitude morale de sa mort clinique, c’est-à-dire pouvoir répondre à la question : “quand une personne peut-elle être déclarée morte avec certitude ?“. “Chacun sait que les approches visant à déclarer avec certitude la mort ont déplacé l’accent des signes cardio-respiratoires traditionnels vers ce que l’on appelle le critère “neurologique”, cela signifie“la cessation totale et irréversible de toute activité cérébrale (dans le cerveau, le cervelet, et le tronc cérébral)“. Le Pape rappelait ensuite que l’Eglise ne prend pas de décision technique sur ces critères mais se limite à vérifier que ces données offertes par la science respectent la dignité de toute personne humaine et il continuait en précisant “que le critère adopté récemment pour déclarer avec certitude la mort, c’est-à-dire la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale, s’il est rigoureusement appliqué ne semble pas en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse“.
Certitude morale
Jean Paul II soulignait également que le “critère” pour déclarer avec certitude la mort qui est utilisé par la médecine “ne doit pas être compris comme la détermination technique et scientifique du moment exact de la mort d’une personne, mais comme un moyen scientifiquement certain d’identifier les signes biologiques qui montrent qu’une personne est effectivement morte“. Le personnel de santé ayant la responsabilité professionnelle d’établir le moment de la mort “peut utiliser ces critères au cas par cas, comme base pour arriver à un degré d’assurance dans le jugement éthique que la doctrine morale qualifie de “certitude morale”“. Cette “certitude morale” est considérée comme la base nécessaire et suffisante pour agir de façon éthiquement correcte. Ce n’est qu’en présence de cette certitude et avec l’accord informé du donneur ou de son représentant, qu’il est moralement légitime de mettre en acte les procédures techniques nécessaires pour prélever les organes destinés à la transplantation.
Coma irréversible, mort cérébrale
Le Quotidien du Médecin du 8 septembre 2008 rappelle que le comité de la faculté de médecine de Harvard chargé d’examiner la définition de la mort cérébrale a établi en 1968 le concept de coma irréversible : “absence de réceptivité et de réaction, absence de mouvement et de respiration, absence de réflexes, électro-encéphalogramme (EEG) plat, aucune modification des résultats des tests répétés 24 heures plus tard, et exclusion d’hypothermie et de dépresseurs du SNC“. En France, la définition légale de la mort est fixée par un décret du 2 décembre 1996 portant sur le prélèvement d’organes ou de tissus. Selon ce décret, en cas d’arrêt cardiaque ou respiratoire persistant, trois critères cliniques sont nécessaires pour faire le constat de la mort : “absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, absence totale de ventilation spontanée“. Enfin, pour confirmer le caractère irréversible de la destruction encéphalique, on effectue deux EEG à 4 heures d’intervalle qui doivent être a-réactifs ou l’on fait une angiographie montrant l’arrêt de la circulation encéphalique. Rappelons que l’encéphale est constitué du tronc cérébral, du cervelet et du cerveau. Le tronc cérébral est responsable de plusieurs fonctions dont la régulation de la respiration et du rythme cardiaque. Le cervelet coordonne les mouvements et l’équilibre. Le cerveau comprend, d’une part, le diencéphale permettant le tri général des informations sensitives et la commande supérieure des hormones et des viscères et, d’autre part, les deux hémisphères, responsables des sensations conscientes, de la motricité volontaire et des fonctions supérieures (facultés intellectuelles, émotions…).
Prélèvement à cœur arrêté
Si communément les critères de mort cérébrale sont retenus pour pratiquer un prélèvement d’organe, certains pays autorisent aussi le prélèvement à cœur arrêté. Ainsi en France, l’Agence de la Biomédecine autorise, depuis octobre 2006, à titre expérimental et “en toute discrétion“, ce type de prélèvement. Cette technique consiste à prélever des organes sur des personnes en état d’arrêt cardiaque, après une réanimation de trente minutes et le constat de l’absence de reprise de battements du cœur durant cinq minutes au moins. Neuf équipes hospitalo-universitaires participent à ce programme : Angers, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nancy, Strasbourg, et, à Paris, les hôpitaux de Saint-Louis, la Pitié- Salpêtrière et Bicêtre. Cette technique permet d’augmenter le nombre de donneurs potentiels et donc de pouvoir greffer davantage de demandeurs d’organes. Pour autant, cette initiative sème le trouble au sein du corps médical. Certains dénoncent la “course contre la montre” imposée par cette technique, le prélèvement devant être fait 120 minutes maximum après l’arrêt du cœur (contre 1 ou 2 jours après une mort encéphalique avérée). Responsable du groupe de travail à l’espace éthique AP-HP, Marc Guerrier souligne la difficulté de parler de don d’organes à une famille quelques minutes seulement après le constat du décès et celle rencontrée par le personnel qui, d’un côté, fait tout pour réanimer le patient et, de l’autre, constitue un dossier pour un éventuel prélèvement. Une histoire a ravivé le trouble : en juin 2008, un homme de 45 ans qui n’avait pu être réanimé après un arrêt cardiaque, s’est réveillé alors qu’on s’apprêtait à lui prélever certains de ses organes.
La nécessité d’un débat ?
Le Pr Allan Kellehar, de l’université de Bath (Grande Bretagne), appelle à modifier la définition que nous avons de la mort qui repose uniquement sur des termes médicaux. D’après lui, un débat est nécessaire pour savoir s’il est vraiment juste que la mort cérébrale soit le sésame pour débrancher un patient et prélever ses organes. Aujourd’hui, la mort est plus difficile à déterminer parce qu’il est techniquement possible de garder en vie une personne en état de mort cérébrale pendant une durée indéterminée. Ce débat lui paraît essentiel parce que l’utilisation du critère de mort cérébrale résulte d’une pression exercée par certains médecins, dictée, au moins en partie, par le besoin d’organes. Pour le Dr Richard Nicholson, du Bulletin d’éthique médicale, ce débat est nécessaire pour distinguer ce qui est socialement acceptable de ce qui est simplement “pratique” médicalement…