PMA avec donneur : une « dette existentielle » ?

Publié le 7 Juil, 2020

À l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi de bioéthique à l’Assemblée nationale, deux représentants de l’association « PMAnonyme » ont rappelé dans Le Monde (6 juillet) leur position sur le don de gamètes. Celle-ci est paradoxale à plus d’un titre. Nicolas Bauer, chercheur associé au European Centre for Law and Justice (ECLJ), fait le point pour Gènéthique.

 

L’association « PMAnonyme » est la principale organisation demandant une levée de l’anonymat des donneurs de gamètes. Ses membres, eux-mêmes issus de PMA avec tiers donneur, médiatisent leur quête d’identité souvent angoissante et pénible ainsi que leurs troubles existentiels. Ils cherchent dès l’enfance ou l’adolescence leur parent biologique inconnu – qui est la plupart du temps le père – ainsi que leurs éventuels frères et sœurs.

 

Néanmoins, les militants de « PMAnonyme » qualifient ce parent de « donneur », mais refusent de l’appeler leur « père » ou leur « mère ». D’après eux, la biologie ne doit avoir aucun lien avec la filiation : ce qui compte est d’avoir des parents au sens légal, que ce soit un père et une mère, deux mères, ou une seule mère. C’est pourquoi, ils sont en faveur de la PMA avec donneur et qualifient même la « PMA pour toutes » d’« immense progrès ».

 

Une « dette existentielle » ?

 

Pourquoi cette position paradoxale ? Joanna Rose, une Britannique née d’un donneur de sperme anonyme a consacré une thèse à ce sujet. Elle propose une réponse à partir de l’analyse de nombreux témoignages[1]. Pour elle, si la quête existentielle de ces enfants est forte, parfois extrêmement douloureuse, leur « dette existentielle » prend souvent le dessus. La PMA avec donneur viole leurs droits, mais leur a permis d’exister.

 

Ces personnes sont nées en raison d’une « technique » reproductive et de la législation qui la permet. Ils doivent leur existence à une équipe médicale dans un hôpital, et non à l’union charnelle d’un homme et d’une femme[2]. Dans ces conditions, Joanna Rose explique qu’il est inconcevable, pour la plupart d’entre eux, d’avoir une position critique sur la PMA avec donneur. Ils sont en effet tenus par une dette envers cette technique de conception.

 

Vincent Bres, conçu par PMA et vice-président de « PMAnonyme », reconnaît lui-même que « la notion de « dette existentielle » explique (…) le fait que beaucoup de personnes conçues par don ne défendent pas leurs droits ». Malgré cette analyse, « PMAnonyme » reste campé sur sa position pro-PMA.

 

Des témoignages contradictoires

 

De nombreux autres témoignages sont davantage critiques de la PMA avec donneur, considérée comme objectivement mauvaise. Ceux de la Belge Stéphanie Raeymaekers et de Joanna Rose sont emblématiques ; elles les avaient partagés au cours d’une conférence aux Nations unis en mars 2018.

 

Une étude américaine a interrogé près de 500 personnes âgées de 18 à 45 ans conçues par don de sperme. Elle a conclu qu’environ la moitié critique la PMA avec donneur en elle-même, y compris lorsque l’enfant connaît son mode de conception et l’identité de ses géniteurs[3]. Toujours d’après cette étude, les jeunes adultes conçus par don de sperme se sentent plus isolés de leur famille que ceux élevés par leurs parents biologiques. Ils s’en sortent également moins bien sur plusieurs plans, avec de plus forts taux de dépression, de délinquance et de toxicomanie.

 

Dans les pays où l’anonymat des donneurs a déjà été levé, des associations de personnes issues de PMA deviennent plus critiques de la PMA elle-même, et non seulement de ses modalités. Par exemple, au Royaume-Uni, le représentant de l’association Tangled Webs UK dit s’être rendu compte qu’il était en réalité impossible de faire de la PMA avec donneur « une bonne pratique »[4].

 

L’objectivité du bien commun

 

Les personnes issues de PMA ont des histoires individuelles et des positionnements contrastés, dont il est difficile de tirer une conclusion générale. Contrairement à ce qui est souvent cru à notre époque, ce n’est pas sur la subjectivité d’un « vécu » que doit être fondée une vision de la société. Le vécu peut au contraire être une expérience aveuglante. Ce n’est pas parce que certaines personnes issues de PMA avec donneur y sont favorables que cette technique est bonne en elle-même.

 

La loi ne doit pas être fondée sur des éléments subjectifs, mais sur le bien commun. Celui-ci inclut le bien de chaque enfant. Pour protéger ce bien objectif, des droits ont été consacrés. La France s’est engagée à les protéger en ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant qui rappelle le droit, dès la naissance, d’être élevé par ses parents biologiques (art. 7). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a également reconnu « le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance » (Pascaud c. France, § 59).

 

Distinguer plusieurs situations

 

La dissociation entre la filiation biologique et la filiation légale est un mal, en ce qu’elle ne permet pas à l’enfant d’exercer pleinement ses droits et qu’elle a des conséquences négatives fortes sur lui[5]. Cependant, une telle dissociation se justifie seulement dans des situations exceptionnelles, afin d’éviter un mal plus grand, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

Prenons l’exemple de l’accouchement dans le secret (« sous X »). Cette pratique permet à des femmes de mettre au monde un enfant sans laisser d’informations sur leur identité ; elle dissocie donc filiation biologique et filiation légale. Son objectif est souvent d’éviter l’avortement de l’enfant, et donc de préserver sa vie. La fragmentation de la filiation de l’enfant est alors légitime en ce qu’elle permet d’éviter un plus grand mal (la mort de l’enfant).

 

La PMA avec donneur n’est pas justifiable sous cet angle. En effet, la fragmentation de la filiation induisant la privation de filiation biologique est délibérément organisée, avant même la conception de l’enfant. La violation de son bien et de ses droits devient en réalité la condition même de son existence. Cette pratique n’est en aucun cas légitime, ni pour deux femmes ou une femme seule, ni pour un couple homme-femme.

 


[1] Joanna Rose, A critical analysis of sperm donation practices: the personal and social effects of disrupting the unity of biological and social relatedness for the offspring, thèse de doctorat, Queensland University of Technology, 2009.

[2] Sur ce sujet, voir la vidéo : Docteur Bayle : « PMA et pathologies de la conception », 22 mai 2019.

[3]  Elizabeth Marquardt, Norval D. Glenn, Karen Clark, My Daddy’s Name Is Donor: A New Study of Young Adults Conceived through Sperm Donation, Broadway Publications, 2010.

[4] Olivia Gordon, « Is it time to question the ethics of donor conception? », The Telegraph, 18 mai 2015.

[5] Voir thèse de Joanna Rose et l’étude américaine précitées.

 

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Nicolas Bauer

Nicolas Bauer

Expert

Nicolas Bauer est chercheur associé à l’ECLJ et doctorant en droit.

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