Peut-on justifier une « exception d’euthanasie » ?

Publié le 3 Déc, 2020

Malade depuis 30 ans, Alain Cocq veut mourir et par deux fois, demande à ce qu’on suspende ses traitements. A l’occasion de cette « affaire »(cf. Revendiquer la mort ?, « Mourir peut attendre », Alain Cocq : plus forte la vie), le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a sollicité Denis Berthiau, maître de conférences en droit, HDR, à l’Université de Paris, et consultant auprès du CNSPFV, afin de clarifier le concept d’« exception d’euthanasie » en droit français. Gènéthique fait le point avec Me Jean Paillot, avocat au Barreau de Strasbourg, expert au Conseil de l’Europe et enseignant en droit de la santé.

 

Gènéthique : En 2000, le Comité consultatif national d’éthique s’était déclaré favorable à une notion « d’engagement solidaire et d’exception d’euthanasie ». Aujourd’hui, Denis Berthiau affirme dans son analyse que d’une part, l’euthanasie n’est pas condamnée en tant que telle en droit français, et que par ailleurs, une exception peut toujours être posée à la condition de « développer un cadre de conditions dont chacun peut se prévaloir en prouvant que sa situation entre dedans ». Quel est votre avis ?

Jean Paillot : L’euthanasie n’est en effet pas condamnable en tant que telle car ce n’est pas la qualification juridique d’une incrimination pénale. Une euthanasie, au sens de faire mourir un être humain dans le but de supprimer ses souffrances, peut être, selon les cas, poursuivie pour homicide volontaire, empoisonnement ou non-assistance à personne en danger.

L’exception d’euthanasie n’existe pas plus en tant que telle dans le code pénal, et ne constitue pas un fait justificatif, qui amènerait à ne pas poursuivre un acte ou une omission dans ce but. Je rappelle que même la volonté de la victime ne constitue pas un fait justificatif. Ainsi, le fait qu’un patient demande à mourir ne justifie pas de l’aider à mourir ou de le faire mourir.

En revanche, prétendre qu’on a agi pour supprimer les douleurs d’une personne, qu’on a agi pour lui faire du bien, pour lui être agréable ou parce qu’il n’y avait pas d’autre solution, peut permettre de bénéficier de circonstances atténuantes de responsabilité, et donc d’une sanction moins élevée.

G : Pourquoi envisager une exception à une notion pourtant absente du code pénal ?

JP : Un certain nombre de personnes militent ouvertement pour légaliser l’euthanasie ; d’autres, se croyant plus nuancées, proposent d’admettre simplement une exception d’euthanasie. Mais c’est en réalité la même chose, qui procède de l’idée qu’il faudrait supprimer une personne pour supprimer ses souffrances, ce qui est d’autant plus facile à prétendre que la personne en question n’a plus la faculté de parler pour elle-même.

Toute légalisation tendant à réduire l’interdit de tuer, on l’a bien vu avec l’admission des interruptions volontaires et médicales de grossesse, a ceci de particulier qu’il ne peut s’agir d’une « loi d’exception », ou de « répondre à des situations exceptionnelles » : ce devait être le cas avec la loi Veil, et ce sont depuis plusieurs années de suite 200.000 bébés qui sont avortés. On ne peut plus parler ici de réponse à des situations exceptionnelles. Il en sera de même de la fin de vie provoquée. On voit d’ailleurs fleurir désormais, sans vergogne, des propositions de légalisation des interruptions volontaires de vieillesse, ou d’arrêts de remboursement des soins des personnes de plus de x années.

Mais pourquoi la vie de quelqu’un devrait-elle dépendre du bon vouloir d’un autre ? Et pourquoi la vie de quelqu’un pourrait-elle dépendre du bon vouloir de soi-même ?

G : Pourtant l’argument de la liberté est souvent invoqué. Que dit le droit à ce sujet ?

JP : Le suicide assisté ou l’euthanasie n’ont jamais été classés au rang des droits fondamentaux, tels que résultant de la Convention européenne des droits de l’homme.

La raison en est que le respect de la vie est le premier devoir pour qui prend au sérieux le respect de la dignité des personnes : respecter la dignité d’une personne, c’est d’abord respecter sa vie, comme le pose l’article 16 du code civil, sous la seule limite des éventuelles situations d’obstination déraisonnable. La Cour européenne a déjà eu l’occasion de le rappeler : on ne peut pas tirer du droit à la vie un droit à la mort (arrêt Pretty c/ Royaume-Uni, 29 avril 2002). C’est la raison pour laquelle notre droit a toujours privilégié, sur ce point, la voie des soins palliatifs, malgré les dérives que l’on a pu parfois y constater, en termes de défauts de soins pourtant légitimement dus. Nous ne sommes pas maîtres de la vie, et nous ne sommes mêmes pas maîtres de notre propre vie, n’étant pas les auteurs de notre vie. Nous sommes seulement maîtres du contenu de notre vie.

G : Avec cette consultation, le CNSPFV affirme vouloir « éclairer le débat à partir d’éléments juridiques rigoureux et non pas de prendre position sur une quelconque et éventuelle modification de la loi ». Pourquoi publier un tel avis aujourd’hui selon vous ? Le droit français a-t-il besoin de garde-fous pour protéger les personnes vulnérables qui pourraient être en situation de demander ?

JP : On verra bien ce qu’il en ressortira, car on juge l’arbre à ses fruits. Je suis pour ma part étonné que les pouvoirs publics n’aient de cesse de vouloir, chacun son tour, interroger ce domaine, comme si le travail d’analyse n’avait pas déjà été longuement réalisé en 2005, à l’occasion des discussions sur la loi Léonetti. N’oublions pas que Monsieur Alain COCQ n’est pas monsieur tout-le-monde, c’est un homme qui, à travers la mise en scène de sa propre mort, veut « faire avancer les choses » dans la direction qu’il veut qu’elles prennent, c’est-à-dire l’euthanasie active. Il n’est pas un interrogateur, il est un partisan. Ceci dit, il y a une question réellement importante, qui résulte de ses deux tentatives de mort par dénutrition et déshydratation : la douleur en résultant, et qui a justifié à deux reprises l’interruption de ses deux processus mortifères, ne devrait-elle pas nous interroger sur les arrêts d’alimentation et d’hydratation associés à une sédation continue et soi-disant profonde ? Le cas de Vincent Lambert n’est-il pas déjà là pour nous montrer à quel point cette mort est ignominieuse et que le recours à ce type de mort par dénutrition et/ou déshydratation devrait être absolument interdit ?

 

 

Jean Paillot

Jean Paillot

Expert

Avocat au barreau de Strasbourg depuis 1992, expert au Conseil de l’Europe pour le compte du Saint-Siège depuis 2012. Enseignant en droit de la Santé à l’Institut Politique Léon-Harmel (DU d’Ethique biomédicale délivré par l’Université Catholique d’Angers) depuis 2007.

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