Dans le cadre du débat sur la fin de vie, la commission des affaires sociales du Sénat a entendu mercredi la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) représentée par le Dr Emmanuel de Larivière, la Société française du cancer avec le Pr Jacques-Olivier Bay, la Société française de gériatrie et de gérontologie avec le Dr Sophie Moulias et la Société française de neurologie avec le Pr Jérôme Honnorat.
Une faible demande de mort
« En 30 ans, j’ai observé une fois un patient qui a réellement demandé à en finir » explique le Pr. Honnorat, président de la Société française de neurologie. Une société qui prend en charge des patients en fin de vie et notamment ceux qui sont atteints de démence, de la maladie de Charcot (SLA), de tumeurs cérébrales ou victimes d’AVC. « Le handicap n’est jamais suffisant pour penser qu’il faut en finir » poursuit-il. Pour lui, l’arsenal législatif actuel est suffisant.
Concernant les personnes souffrantes de SLA, la sédation profonde et continue jusqu’au décès semble une réponse adaptée à leurs souffrances. « Il ne faut pas les stigmatiser et faire une nouvelle loi ciblée sur cette maladie » préconise le Dr de Larivière.
Ce dernier, représentant de la SFAP, compte « sur les doigts d’une main » les patients qu’il a vu demander la mort. « Faut-il modifier la loi pour ceux-là ? Je ne le crois pas ». Dans ce cas, on changerait de paradigme et « ce ne serait pas un prolongement des lois précédentes ».
Améliorer la prise en charge
Avant de légiférer sur la fin de vie, il faudrait être sûr que tous les moyens ont été mis en place pour l’éviter, souligne le Pr Bay. Les soins palliatifs sont trop peu connus par les patients et leurs familles. « C’est bien d’écrire une loi mais il faut donner les possibilités de son application » insiste le Dr Moulias. « Aucun médecin n’abandonne ses patients et les citoyens ne savent pas ça ». Le Dr de Larivière avait d’ailleurs rappelé en préambule les trois refus de la SFAP : abandonner le malade, faire de l’obstination déraisonnable et donner délibérément la mort.
« On ne doit pas tromper nos citoyens en allant jusqu’à des extrémités : il y a d’autres possibilités qui permettent de bien entourer les gens » explique le Pr Bay. Et les soins palliatifs en font partie. « Dans notre pays, il faut que tous les soignants se saisissent de la culture palliative » interpelle le Dr de Larivière.
La valeur de la vie en question ?
« La question de prolonger la vie en état de dépendance pose la question de la valeur de la vie. Elle existe du jour de la naissance jusqu’au jour de la mort » affirme le Dr Moulias. Elle interroge : « dans la grande dépendance, la valeur de la vie serait-elle moins à considérer ? ».
Quant au Pr Honnorat, il souligne que l’on « n’a pas besoin d’être indépendant pour avoir une vie ». « Quelle différence y a-t-il entre un fauteuil roulant et la voiture ? » interroge-t-il tout en insistant sur la nécessité des discussions anticipées.
Un « droit à mourir » ?
« Je ne vois pas ce que le droit vient faire là-dedans » pointe le Dr de Larivière se référant à la notion de « droit à mourir ». « Ça va nous arriver à tous, ce n’est pas un droit. » Pour Pr Honnorat, « le droit de décider de sa fin de vie » est « un fantasme » car « personne ne peut lire dans une boule de cristal et décider de la façon dont ça va se produire ».
« Il ne faudrait pas que la loi pousse à s’interroger sur le “droit à vivre” » s’inquiète le Dr Moulias en évoquant la question de la culpabilité et de la peur de devenir un poids.
Une contestation des soignants s’est faite ressentir car « donner la mort n’est pas un soin » comme le rappelle le Dr de Larivière. En effet, il y a simplement « une insatisfaction de la loi Claeys-Leonetti » explique le Pr Bay qui refuse quant à lui de donner l’impression d’une opposition du monde médical à une nouvelle loi (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie).
Il poursuit en précisant la différence entre « aider un patient à mourir en l’endormant, discutant, invitant la famille » et l’euthanasie « où la mort intervient brutalement ».
Des risques de dérives ?
« Ce qui nous inquiète, ce sont les dérives » et « notamment pour les personnes Alzheimer qui sont euthanasiées [en Belgique], sans déclaration » explique le Dr Moulias en ce qui concerne les « modèles » étrangers. « On est inquiets des applications, des dérives, et de qui “pousse la seringue” » et l’on « craint que le sens de nos professions disparaisse » poursuit-elle.
Dans cette nouvelle audition, les soignants, qu’ils soient confrontés aux maladies neurologiques, au cancer ou au grand âge se sont montrés unanimes. Et les sénateurs toujours aussi assidus.
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