Médecine : une vocation aliénée

Publié le 31 Oct, 2011

Lors d’une conférence au Colloque international de Bioéthique qui s’est tenu à Paray-le Monial du 11 au 13 novembre, Pierre-Yves Gomez, spécialiste en économie politique, s’est penché sur les liens existant entre l’économie et la vulnérabilité dans notre société.

Les liens entre économie et vulnérabilité sont déterminés par une certaine vision de l’économie et une façon de comprendre ce qu’est la médecine. L’une et l’autre se construisent dans une relation d’influence réciproque. La pensée libérale dominante a mené à une certaine conception de la médecine.

 

Le libéralisme se caractérise par trois postulats : les hommes sont rationnels ; ils sont autonomes ; et enfin le bien commun n’est pas la condition de la vie en société. Dans l’optique libérale, le bien est conçu comme une conséquence des choix individuels.

 

De “patient” à “client

 

La première conséquence de cette vision libérale est un désenchantement de la médecine. Autrefois “garant du bien a priori“, prenant soin des plus faibles, le médecin a maintenant en face de lui des patients de mieux en mieux informés, exigeant une réponse efficace à leur demande.

 

Patients ? Le mot est dépassé. Il serait plus juste dorénavant de parler de “clients“. Le médecin n’est plus perçu comme détenteur du savoir et son “client” vient avec une attente précise.

L’espace du soin à la personne devient le lieu de l’élaboration technique d’un service. Loin d’être épargnée par l’économie libérale, la médecine est rentrée dans la logique commerciale où l’offre est tributaire de la demande.

 

Pour répondre à l’angoisse d’une vie courte et mortelle, le politique promet à l’individu libéral une vie longue et en bonne santé. La médecine est alors appelée à répondre à cette promesse de santé faite à tous. Suivant cette logique, la relation entre la médecine et le politique s’est inversée. Le politique a créé les conditions d’exercice pour la médecine, mais en contrepartie, a exigé d’elle de traduire concrètement les attentes de performances. Lentement, la médecine est devenue un outil du politique et le soin à la personne n’a plus été au cœur des préoccupations, l’enjeu premier étant désormais celui de la guérison. La médecine a maintenant des comptes à rendre en termes de rentabilité économique.

 

La médecine, victime ou auteur ?

 

Pourtant, la promesse de guérison est intenable, tant au niveau technique qu’au niveau économique. D’où la nécessité d’exclure ceux qui coûteront trop chers, ou que l’on ne sait pas guérir. Les personnes vulnérables ne sont plus des individus faibles à protéger, mais porteurs d’une défaillance qu’il faut guérir ou éliminer. Le vulnérable, prenant conscience de l’incapacité de la médecine à le guérir, accepte même son élimination.

 

Mais dans ces évolutions, la médecine n’est pas neutre : elle a elle-même contribué au développement de l’économie libérale. Pierre-Yves Gomez détermine une date-clef : la dépénalisation de l’avortement en 1974. A cette époque, lorsque le politique a demandé à la médecine de pratiquer des actes contraires au serment d’Hippocrate, celle-ci n’a pas su dire “non“. Il s’est tourné vers elle pour répondre au refus de l’enfant par ses parents lorsqu’il est encore en gestation. Ce fut la dépénalisation de l’IVG. En endossant ce rôle, le personnel de santé est devenu “le pompier du politique” et il s’est, dès lors, détourné de sa vocation.

 

Si le politique avait un problème à régler, était-ce à la médecine d’y répondre ? L’avortement n’a en réalité rien à voir avec un acte médical. Pour aider son auditoire à bien saisir la démonstration, Pierre-Yves Gomez a poussé son raisonnement jusqu’à l’hypothèse choquante de la création d’un “corps d’exécuteurs publiques” par le politique, pour résoudre cette problématique sociale, qui n’appartient pas au domaine de la médecine.

 

Quel avenir pour la médecine ?

 

Pour terminer, Pierre-Yves Gomez a interpelé vigoureusement les personnels de la santé, répétant leur responsabilité dans la situation, certes passée, mais aussi actuelle : c’est en disant “oui” pour agir contre ses propres principes que la médecine a entrainé la société dans cette spirale. Aujourd’hui, la question s’est simplement déplacée. Le politique va demander à la médecine si elle accepte de jouer un nouveau rôle d’ “exécuteur” des personnes en fin de vie. Le corps médical va-t-il savoir s’y opposer collectivement ?

 

Il est encore possible de renverser la balance. Selon Pierre-Yves Gomez, “Nous avons touché les limites du tout-libéral. Quelque chose est en train de se passer“. Plus que jamais, l’engagement de chacun à défendre l’idée qu’il se fait de la médecine est important. “Votre voix est importante. Elle parle pour tous […]. Avec vous, les vulnérables parlent ou se taisent“. 

 

 

Gènéthique – n°143 – Novembre 2011

 

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