L’hébergeur d’un site internet qui proposait des services de GPA en France vient d’être condamné par le Tribunal de Grande instance de Versailles. Maître Adeline le Gouvello explique pour Gènéthique, les tenants de la décision.
Gènéthique : L’Association des Juristes pour l’enfance vient d’obtenir gain de cause devant la justice au sujet d’un site Internet faisant en France la promotion de la GPA, quels sont les faits ?
Adeline le Gouvello : Une société basée en Espagne, la société Subrogalia, disposait effectivement d’un site Internet à destination des Français pour proposer des services de GPA. Elle vantait la qualité de ses services, avec plus de 150 GPA réalisées par an, plus de 850 clients heureux, des honoraires à la hauteur des services effectués, se disant « bien plus qu’un simple intermédiaire ». Le public français visé était explicitement désigné puisque le site était accessible en Français, qu’un drapeau français permettait de l’afficher en langue française s’il apparaissait dans une autre langue, et que les problématiques juridiques françaises ne manquaient pas d’être évoquées et décryptées (circulaire Taubira, jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme) avec une proposition de mise à disposition d’avocats spécialisés pour régler les problèmes qui se poseraient en France.
Dès 2016, l’association des Juristes pour l’enfance que je représente a notifié à l’éditeur du site (la société Subrogalia) une mise en demeure d’avoir à retirer le contenu de son site illicite sur le territoire français. Il n’a bien entendu pas donné suite. La loi française permet alors que l’hébergeur soit saisi de la difficulté. L’hébergeur est en effet un prestataire technique présumé neutre. Mais si le contenu manifestement illicite d’un site qu’il héberge est porté à sa connaissance, il doit le retirer sans délai. L’association JPE a donc informé l’hébergeur de la teneur du site de Subrogalia et de son contenu manifestement illicite en France, du fait des dispositions civiles et pénales relatives à la GPA et à l’entremise. Toutefois, l’hébergeur a refusé de retirer ce contenu ou de le rendre inaccessible en contestant ce caractère manifestement illicite. La juridiction compétente a donc été saisie et le tribunal a fait droit à la demande de l’association.
G : Est-ce la première fois que des faits de GPA sont condamnés en France ?
AG : C’est la première fois à notre connaissance qu’un hébergeur est condamné pour un site offrant des services de mère porteuse. Aucune juridiction n’avait été saisie de tels faits jusqu’à présent et les juges ont ainsi eu l’occasion de trancher le caractère manifestement illicite de ces contenus, ce qui donne une précieuse indication à tous les hébergeurs de ces sites. En revanche, il y a déjà eu des condamnations en matière de GPA mais pour des faits différents, à l’encontre de personnes ayant eu recours à des mères porteuses ayant accouché et remis l’enfant en France[1]. Mais globalement, de tels faits ont du mal à remonter jusqu’aux autorités judiciaires, car les différents protagonistes savent bien que c’est interdit et quels sont les risques encourus. Il est donc de leur intérêt que rien ne soit su, même lorsque les choses ne se passent pas comme prévu, non remise de l’enfant par la mère qui décide de le garder par exemple.
G : Comment le Tribunal de Grande Instance de Versailles a-t-il justifié sa décision ?
AG : Le tribunal, faisant application de l’article 6-I-2 de la loi dans la confiance dans l’économie numérique a opéré une rigoureuse démonstration et pris soin de fort bien motiver sa décision. Il a dans un premier temps analysé si le contenu proposé était manifestement illicite, puis il a examiné si l’hébergeur avait été informé de ce contenu et l’avait ou non rendu inaccessible.
Le caractère manifestement illicite se déduisait des dispositions légales (civiles et pénales) en matière de GPA et d’entremise, et du contenu du site, les juges constatant que les services proposés étaient bien ceux de l’entremise dont le caractère habituel et lucratif était également relevé. Les juges ont ainsi estimé que le site SUBROGALIA avait manqué délibérément à une disposition de droit positif explicite et dénuée d’ambiguïté.
Dans un second temps, les juges ont constaté que l’hébergeur avait été informé du caractère manifestement illicite de ce site, mais qu’il s’était contenté de le contester alors que, je cite le jugement, « le site avait vocation à permettre à des ressortissants français d’avoir accès à une pratique illicite en France et de contourner les dispositions du droit positif français ce qui constitue une infraction pénale. La localisation de la société Subrogalia en Espagne et la licéité de la GPA en Espagne sont sans influence sur la licéité du contenu du site à destination du public français ».
C’est précisément tout l’esprit de cette disposition de la loi dans la confiance dans l’économie numérique qui a permis d’aller chercher la responsabilité de l’hébergeur face à des éditeurs de sites inertes et à l’abri de poursuites puisque, la plupart du temps, basés à l’étranger où leurs activités ne sont pas illicites et où il est très difficile d’obtenir et faire exécuter une décision.
G : Que va-t-il se passer si l’hébergeur n’obtempère pas ?
AG : L’hébergeur devrait rapidement obtempérer car il avait indiqué dans ses écritures qu’il se plierait à toute décision jugeant que le contenu est manifestement illicite, ce qu’ont relevé les juges et motivé leur refus de prononcer une astreinte : nous avions en effet demandé qu’il soit enjoint à l’hébergeur de rendre le site inaccessible, sous astreinte de 300 € par jour de retard afin de ne pas risquer une inertie de sa part. Si les propos de l’hébergeur n’ont pas été soutenus de bonne foi et qu’il n’exécute pas la décision, nous serons alors contraints de saisir le juge de l’exécution.
G : Quelles vont être les conséquences de cette décision ?
AG : Les juges ont eu l’occasion de mettre en application la LCEN et de condamner les hébergeurs dans des domaines très variés : contrefaçon (de films, de musique), injures, diffamations, défaut de suppression de données personnelles, propos antisémites, etc… Cette décision élargit son champ d’application et qualifie le caractère manifestement illicite de sites proposant des services de mère porteuse aux Français. Cela permet de maintenir effective l’interdiction de la GPA en France et donne de la cohérence à notre Droit : on ne peut mettre en ligne sur le territoire français et pour les Français des services prohibés par la loi française.
[1] Tribunal correctionnel de Saint Brieuc, 4 juillet 2013 ; Tribunal correctionnel de Bordeaux 1er juillet 2015 ; Tribunal correctionnel de Blois 22 mars 2016 ; Tribunal Correctionnel de Paris, novembre 2016 : qui a condamné d’ailleurs aussi le médecin ayant pratiqué l’insémination …