L’eugénisme à l’encontre des personnes handicapées est-il un droit de l’homme ?

Publié le 31 Mar, 2012

Voilà la question à laquelle la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) est amenée à répondre dans l’affaire Kruzmane c. Lettonie. Choquées par la nature de cette interrogation, des associations européennes spécialisées dans le handicap se mobilisent pour faire entendre leurs voix, celles des personnes handicapées, de leurs familles, trop souvent oubliées alors qu’elles sont les premières concernées par cette violente stigmatisation.

 

L’affaire Anita Kruzmane

 

Une femme lettone a accouché d’une fille atteinte de trisomie 21. Celle-ci a poursuivi son médecin en justice devant les juridictions de son pays se plaignant de ne pas avoir été en mesure d’avorter de sa fille du fait de l’absence d’un test de dépistage. Les juridictions nationales n’ont pas accueilli ses demandes relevant que le médecin avait bien proposé ce test. Mme Kruzmane saisit alors la CEDH considérant que le rejet de ses demandes par les juridictions lettones viole son droit fondamental au respect de la vie privée. Elle invoque que ce droit fondamental comporte un droit de décider d’avorter en raison de l’état de santé de l’enfant à naître. Si la CEDH fait droit à sa demande, elle jugerait que le droit fondamental au respect de la vie privée comprendrait celui de recourir à la procédure de “dépistage – élimination” pré-natal des enfants porteurs d’un handicap. Or cette “procédure” n’est autre qu’un processus d’élimination des enfants considérés comme “non-conformes“, c’est-à-dire un eugénisme des personnes handicapées. Pour l’ECLJ (1), “Cette revendication – faire de l’eugénisme un droit de l’homme – peut paraître folle, mais pas au point de choquer d’emblée la Cour, sans quoi elle l’aurait rejetée pour non-respect des critères de recevabilité ou pour abus de droit […]. Il ne fait pas de doute que l’affaire KRUZMANE […], est utilisée de façon stratégique pour essayer de faire avancer les ‘droits’ à l’avortement et à l’eugénisme. L’eugénisme, à la suite de l’avortement, est en voie de normalisation sociale : de plus en plus rares sont ceux qui perçoivent encore l’inhumanité de ces pratiques’.

 

Les enjeux de l’affaire

 

– Stigmatisation d’un groupe humain sur la base de son génome

 

Le processus “grossesse-dépistage-élimination” entraine déjà dans beaucoup d’Etats membres de graves dérives eugéniques. L’affaire Kruzmane c. Lettonie va plus loin : inscrire comme droit fondamental le droit de supprimer la vie des enfants trisomiques avant leur naissance conduira à stigmatiser un groupe humain sélectionné sur la base de son génome, à nier purement et simplement leur humanité et à instaurer le mécanisme de leur élimination à disposition de chaque femme.

 

– Eriger l’interruption médicale de grossesse (IMG) comme un droit

 

Il faut noter que l’IMG, autorisée dans la plupart des législations nationales est une possibilité donnée à la femme à l’unique condition qu’un accord médical soit délivré. Il revient donc au seul corps médical d’accepter ou non ce type d’interruption de grossesse au regard de la gravité de la maladie de l’enfant. Cette décision médicale est justifiée par la nécessité d’empêcher d’éliminer des enfants à naître pour des raisons subjectives. C’est une des garanties contre l’eugénisme. Si donc, dans les législations nationales des Etats membres, l’IMG n’est pas un droit mais une exception après autorisation médicale, comment pourrait-elle être érigée au rang de droit fondamental ?

 

– Encourager le marché financier de la génétique au mépris de l’humanité

 

Enfin, au delà de l’aspect moral de cette affaire, c’est bien un tapis rouge qu’on déroulerait au marché de la génétique et aux marchands de tests. Car ce qui fonctionnera pour la trisomie fonctionnera pour toutes les pathologies détectables avant la naissance ainsi que pour les prédispositions génétiques. L’enjeu est considérable puisqu’il cible la moitié de la population mondiale : les femmes.

 

– Instaurer un cadre juridique à l’avortement pour les 47 Etats membres

 

Le fait de reconnaitre un “droit à tuer pour état de santé” comme un “droit de l’homme” serait une révolution. C’est la première fois que la CEDH est amenée à décider si la vie d’une personne malade vaut la peine ou pas d’être vécue. Or les décisions de la CEDH ont un impact particulièrement fort, car elles instaurent des principes que les Etats membres ne peuvent contourner. Face à ces graves enjeux, des associations européennes se sont regroupées sous le label “stopeugenicsnow” (2). Par le biais d’une déclaration en ligne, elles rappellent que “c’est l’élimination systématique des enfants trisomiques en Europe qui constitue la vraie violation des droits de l’homme”, elles en appellent “à la conscience de la Cour et des institutions européennes afin qu’elles reconnaissent l’humanité et protègent le droit à la vie des personnes trisomiques et handicapées”. Elles demandent à la CEDH de “réaffirmer le principe de l’interdiction de l’eugénisme ainsi que l’obligation des Etats de protéger la vie de toute personne, y compris celles des personnes handicapées avant leur naissance“.

 

(1) European Center for the law and justice, organisation internationale non gouvernementale dédiée à la protection des droits de l’homme en Europe tierce partie dans l’affaire.
(2) www.stopeugenicsnow.org

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