« L’Etat doit-il donner au médecin le pouvoir de dire “parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer” ? »

25 Avr, 2024

Mercredi 24 avril, Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) était auditionnée par la Commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Gènéthique reproduit son intervention.

L’Etat a-t-il le droit et le pouvoir de dire : “Parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer ?” N’ayons pas peur des mots et parlons sans ambiguïté comme nous l’a suggéré le président de la République : c’est bien cette question qui nous réunit aujourd’hui.

Je suis devant vous aujourd’hui parce qu’à l’âge de 7 ans, j’ai été hospitalisée et parce que j’ai été soignée. J’ai ensuite toujours voulu être soignante à mon tour. Etudiante en médecine, j’ai découvert une médecine triomphante, puissante, savante, technique, ultra-hiérarchisée et parfois violente. Une médecine qui ne prenait pas toujours soin.

En 6ème année, j’ai fait un stage dans un service de maladies infectieuses accueillant des personnes atteintes de SIDA. Ma vie entière, professionnelle et personnelle en a été bouleversée : de jeunes patients et des soignants, parfaitement informés du diagnostic comme du pronostic de la maladie luttaient au coude à coude dans des conditions épouvantables. La mort était omniprésente et avait toujours le dernier mot. Ils m’ont fait découvrir une médecine dont jamais je n’avais même soupçonné la possibilité. Une médecine qui, enfin, prenait soin. Une médecine qui s’attachait au jour le jour à réduire l’asymétrie de la relation soignant-soigné.

« Le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur en même temps que le scandale de faire mourir »

Alors je suis partie 2 ans au Canada pour apprendre cette médecine : les soins palliatifs.

Les soins palliatifs ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort. Ils sont une médecine qui place la relation humaine au cœur du soin. Ils sont un éloge du regard, de l’altérité, de la parole et du silence, des mains, de la lenteur et de l’équipe. Leurs pionniers sont venus dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur en même temps que le scandale de faire mourir.

C’est grâce à eux que chaque année en France plus de 150 000 personnes et leurs proches sont accompagnées, soulagées et écoutées. C’est grâce à eux qu’un corpus législatif sur la fin de vie d’une grande richesse s’est construit et que des milliers de soignants et de bénévoles se mobilisent partout en France. Les soins palliatifs sont un progrès inouï de ce début du 3ème millénaire : vivre dignement jusqu’à la mort. Ils ne sont pas une évolution du soin. Ils sont une Révolution.

Un consensus sans mise en œuvre 

La nécessité de les développer fait consensus et malgré tout, aujourd’hui encore, 500 personnes meurent chaque jour en France  sans y avoir eu accès.

Pourtant ils sont possibles partout. Depuis le 1er janvier 2000, à Narbonne dans l’Aude, un département pauvre, en équipe, nous mettons en commun les compétences de 8 métiers différents pour tenir la promesse du non-abandon. Jamais nous ne pouvons promettre la guérison, ni même l’espoir de la guérison. Nous pouvons seulement promettre d’accompagner la vie avec une maladie grave et d’être là jusqu’au bout pour soulager quoi qu’il en coûte, même si cela doit raccourcir la vie. Et, croyez-moi, cette promesse n’est pas toujours facile à tenir. La confrontation à la maladie, la douleur, la souffrance, la peur et la mort est parfois déchirante. La tentation de la fuite rôde parfois le jour et plus encore la nuit…

25 ans de soins palliatifs ce sont plus de 13000 personnes accompagnées. Plus de 700 chaque année.

Ce sont des milliers de familles, d’enfants, de parents ou d’amis soutenus eux aussi. Pour chacun d’eux nous essayons que les soins palliatifs soient la paix des survivants.

« Les soins palliatifs ça m’a sauvé la vie »

C’est Jean-Michel atteint d’un cancer du poumon et de métastases cérébrales, à qui on avait donné 15 jours à vivre il y a 7 ans. Il est en ce moment à Tahiti avec le t-shirt sur lequel il a fait imprimer « les soins palliatifs ça m’a sauvé la vie ».

C’est Clotilde demandant en même temps l’euthanasie de façon répétée et son vaccin contre la Covid parce que « je suis si fragile que si j’attrapais la Covid, je pourrais en mourir ».

13 000 histoires en 25 ans et seulement trois demandes d’euthanasie qui ont persisté.

« Voyez autour de moi tous ceux qui se tiennent assis au bord du lit de ceux qui meurent pour leur dire qu’ils comptent pour nous tous »

C’est une expérience personnelle me direz-vous avec raison. Mais je ne suis pas seule devant vous. Comme présidente de la SFAP, voyez autour de moi les milliers de soignants et de bénévoles qui se reconnaissent en elle. Ils ont choisi les soins palliatifs et m’ont confié la responsabilité de porter leur parole et de partager avec vous leur expérience.

Voyez autour de moi tous ceux qui, au nom de toute la société, font face à la mort tous les jours avec courage et humilité. Ils construisent au quotidien la fraternité avec les plus fragiles d’entre nous. Voyez autour de moi tous ceux qui se tiennent assis au bord du lit de ceux qui meurent pour leur dire qu’ils comptent pour nous tous et qu’ils vont manquer à notre communauté humaine.

Voyez autour de moi les bâtisseurs d’un projet progressiste : lutter contre le mal-mourir. Déconstruire le pouvoir médical et le mandarinat (raison pour laquelle il n’y a toujours pas aujourd’hui de professeur de soins palliatifs). Construire l’apparente utopie d’une médecine qui accepte son impuissance à vaincre la mort mais qui jamais ne renonce à soulager et accompagner.

Voyez autour de moi tous ceux qui, pas à pas, luttent pour redonner aux patients le pouvoir enlevé au médecin. Vous envisagez maintenant de leur donner le pouvoir de décider qui doit vivre et qui peut mourir, le pouvoir de dire l’incurabilité, le pouvoir de dire le temps qu’il reste à vivre, le pouvoir d’évaluer le discernement et  la capacité à consentir, le pouvoir de prescrire, préparer, assister et  même injecter la mort.

« Voyez autour de moi tous ceux qui refusent d’avoir le pouvoir de faire mourir quand ils n’ont pas celui de guérir »

Voyez autour de moi tous ceux qui refusent d’avoir le pouvoir de faire mourir quand ils n’ont pas celui de guérir. Tous ceux qui veulent  soulager jusqu’à la mort plutôt que de donner la mort même si on le leur demande. Est-ce un hasard si presque tous ceux qui côtoient au quotidien ces confins de la vie se rejoignent sur cette position du refus de la toute-puissance ?

Voyez et entendez autour de moi tous ceux qui vous disent qu’ils ne veulent ni de ce pouvoir ni de cette puissance. Avant de venir devant vous, je les ai interrogés. Un questionnaire sur le projet de loi qui nous rassemble aujourd’hui a été adressé à toutes les équipes de soins palliatifs de France. En quelques jours nous avons reçu 2300 réponses dont je mettrai la synthèse à votre disposition.

2/3 des répondants ne sont pas adhérents à la SFAP mais se sont sentis suffisamment concernés pour vouloir répondre. 76% d’entre eux sont inquiets aujourd’hui et un psychologue me disait trouver les équipes en état de « stress pré-traumatique ». Plus de 90% des médecins et des infirmiers ne veulent ni prescrire, ni préparer, ni fournir ni administrer un produit létal. 86% d’entre eux anticipent un risque de tensions et de divisions dans leurs équipes. 1/3 seulement se sentent rassurés par une clause de conscience qui protègerait le soignant mais au prix de la rupture de la promesse de non-abandon qui fonde le choix de cette médecine si particulière. 22% des médecins de soins palliatifs et 17% des infirmières disent enfin envisager de quitter leur poste si la loi était votée. Pouvons nous réellement nous passer d’un seul d’entre eux ?

La loi « dit les valeurs et les choix d’une société »

Comment les entendre ? La loi a une fonction expressive. Elle dit les valeurs et les choix d’une société.

Aucune loi ne peut ni ne doit répondre au pourquoi de la mort. Elle peut en revanche garantir à chacun les meilleures conditions pour traverser cette épreuve constitutive de notre commune humanité. Quel que soit le choix que vous allez faire, pour la communauté palliative que je représente ici certains éléments sont essentiels :

Soutenez massivement les soins palliatifs. Ils ont besoin d’un engagement fort pour que l’égalité d’accès promise par la loi soit la garante d’une véritable liberté et démontre ainsi la fraternité de notre nation envers les plus fragiles.

Imposez la collégialité de la décision : La demande de mort est un cri de souffrance ou de peur qui doit toujours être écouté. C’est notre métier. Ne laissez pas le médecin engagé dans une relation de soin d’humain à humain décider et décider seul, de la vie ou de la mort d’un patient. Ne nous donnez pas cette toute puissance qui pourrait, car nous sommes humains, nous mettre en danger ou nous conduire à des pratiques non éthiques .

Ne légalisez pas l’euthanasie, même exceptionnelle. Le choix du suicide assisté – toujours possible grâce à des aides techniques si besoin – répond à la demande de pouvoir décider du moment de sa mort (cf. « Nous sommes dans une société thanatophobe et mortifère »). L’euthanasie implique de façon directe un tiers qui, jusqu’à ce jour, est toujours un soignant (car je n’imagine pas que l’idée d’impliquer un proche puisse être légalisée). Elle remet fortement en cause la relation de soin qui est un des fondements de la vie en société. Cette relation est déjà rendue fragile par un système de santé à bout de souffle. Les soignants sont épuisés et peinent parfois à trouver du sens  à leur mission. Ecoutez-les, préservez-les, protégez-les et ils pourront continuer à prendre soin.

Respectez les soignants : si la présence soignante était la seule qui vous semble pouvoir répondre à notre angoisse de mort collective, alors réservez cette mission à ceux qui seraient volontaires, formés et accompagnés ; ils seraient alors mieux à même de ne pas abuser du pouvoir immense qui leur serait confié par la société.

Car cette loi, en l’état, est celle de la toute-puissance médicale. L’Etat doit-il donner au médecin le pouvoir de dire « parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer » ?

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