L’état actuel des recherches sur les cellules souches

Publié le 30 Avr, 2001

Où en sommes-nous dans la recherche biomédicale ?

 

Au delà des déclarations fracassantes que l’on peut lire quotidiennement dans la presse nous nous interrogeons : les cellules souches peuvent-elles ou pourront-elles un jour  nous guérir ?  Nous vous proposons à travers cette étude très attendue une revue des résultats actuels de la recherche sur les cellules souches. Pour des raisons de facilité, nous suivons ici les distinctions établies par le Comité Consultatif National d’Ethique dans son Avis n° 53, Avis sur la constitution de collections de cellules embryonnaires humaines et leur utilisation à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Les enjeux éthiques se focalisent autour de l’alternative cellules-souches embryonnaires – cellules-souches adultes. Nous rappellerons seulement ici que le terme de cellule-souche est générique (cf Gènéthique N°6 et 9). Il désigne des cellules capables d’engendrer plusieurs types cellulaires différents. En d’autres termes, une cellule-souche possède un répertoire de différenciation qui la caractérise.

 

Les cellules souches adultes

 

Tous les systèmes et tous les tissus en possèdent. Pluripotentes, elles peuvent être utilisées pour reconstituer le tissu endommagé. 

 

Les cellules embryonnaires (ES)

 

Localisées dans la masse interne des blastocystes (embryon du 4ème-6ème jour), les cellules internes d’où vont dériver les trois feuillets embryonnaires et, à partir d’eux, la totalité des tissus de l’organisme sont les cellules-souches embryonnaires.

 

Chez la souris :

 

dont les cellules-souches ont été étudiées de manière particulièrement intensive, l’établissement en culture de lignées de ces cellules embryonnaires est aujourd’hui une technique bien rôdée. Leur totipotence est bien attestée par des expériences de transfert in vivo : si on les injecte à une morula ou à un blastocyste de souris, elles sont capables de se différencier dans toutes les cellules de l’adulte. Il est possible de contrôler in vitro  leur différenciation, dans une certaine mesure. 

 

Cependant, selon l’Avis n° 53, ces cellules sont incapables d’avoir par elles-mêmes une « évolution coordonnée vers un embryon multicellulaire ou un fœtus normal », alors qu’à l’inverse sans intervention humaine, c’est-à-dire durant un développement embryonnaire naturel, des jumeaux peuvent apparaître. Il faut donc imaginer que, dans ces conditions, les cellules-souches embryonnaires sont capables de se développer par elles-mêmes en un fœtus parfaitement constitué. Les raisons de la perte de cette aptitude en dehors du corps maternel sont énigmatiques.

 

Dans l’espèce humaine :

les recherches sont nettement moins avancées. Il a en effet fallu attendre l’année 1998 pour voir l’établissement des premières lignées de ce type cellulaire[1]. Un article fait état d’un relatif contrôle de certaines phases précoces du développement[2]. Depuis, les recherches se sont intensifiées, au point de déclencher une polémique violente aux Etats-Unis[3]. L’horizon de ces recherches est ultimement thérapeutique. L’espoir est de contrôler le développement des cellules embryonnaires vers un type cellulaire adulte bien déterminé (cellules nerveuses, cellules pancréatiques, etc.) en vue de les injecter à un individu malade et ainsi de régénérer un organe déficient. Il s’agit en somme d’un perfectionnement des techniques relativement 

anciennes d’injection de cellules embryonnaires dans les structures cérébrales de malades atteints d’une maladie neurologique en phase terminale (Parkinson, etc.).

 

L’obtention des cellules embryonnaires

 

Ce point est également de première importance quand il s’agit de se prononcer sur la licéité éthique de ces recherches. On distingue différentes sources d’obtention :

 

A/ Les embryons congelés privés de projet parental.

 

B/ Les embryons ou fœtus morts soit de façon naturelle soit par interruption volontaire de grossesse.

 

C/ La production de clones. Jusqu’il y a peu, aucun biologiste ne croyait à cette éventualité. Mais la naissance de Dolly a brisé un dogme de la biologie, selon lequel un noyau de cellule somatique est incapable de donner lieu à un développement embryonnaire. Si la plupart des spécialistes est opposée au clonage reproductif, il n’en va pas de même pour le clonage dit thérapeutique. L’idée est d’orienter le développement des cellules-souches embryonnaires de ce clone vers la production d’un type déterminé de cellules, par exemple des cellules nerveuses. En sacrifiant le clone, il serait alors possible de récupérer les cellules nerveuses et de les injecter dans le cerveau de  l’individu d’origine, pour soigner par exemple sa maladie de Parkinson. L’avantage de cette technique est de court-circuiter les réactions de rejet du greffon liées à des incompatibilités tissulaires. Précisons tout de suite que ce schéma thérapeutique est dans l’état actuel des choses purement théorique. Le clonage dans l’espèce humaine n’a pas encore été réalisé, le contrôle de différenciation in vitro des cellules-souches embryonnaires humaines n’est nulle part et les avis sur l’efficacité et l’innocuité de l’injection de cellules embryonnaires (provenant de produits d’avortement par exemple) dans le cerveau de malades sont loin d’être unanimes.

 

Récemment, plusieurs équipes américaines ont suspendu ce type de traitement. Il faut avoir clairement à l’esprit que, malgré la battage médiatique qui est fait autour de ces questions, nous n’avons aucun argument actuellement pour penser que ce traitement est seulement possible. En revanche, les perspectives ouvertes par les cellules-souches adultes sont plus prometteuses, comme nous le verrons plus loin.

 

D’un point de vue éthique, la seule source d’obtention des cellules embryonnaires qui ne pose pas de problème est le cas des avortements spontanés. Malheureusement, cette source est aussi la moins intéressante sur le plan biologique. En effet, dans l’immense majorité des cas, ces fausses-couches sont liées à des anomalies chromosomiques non viables.

Dans les trois autres situations, qui sont également les seules qui présentent un intérêt pour la recherche, la question éthique se pose. 

 

L’alternative des cellules souches adultes

 

Depuis 1999, plusieurs publications ont révélé que les cellules souches adultes possèdent un répertoire de différenciation plus large qu’on ne l’avait imaginé.

Le point sur les expériences illustrant ce phénomène :

 

Expérience de Bjornson and al.: des cellules-souches de cerveau de souris ont été injectées à des souris d’une autre race. Les cellules-souches nerveuses injectées ont été capables de recoloniser entre autre la moelle osseuse des souris receveuses et de générer les trois types de cellules sanguines[4].

 

Expérience de Kopen and al. : l’injection de cellules-souches de stroma médullaire dans le ventricule latéral de souriceaux est suivie par leur migration dans l’ensemble du cerveau et 

par leur différenciation en douze jours en astrocytes[5].

 

Expérience de Jackson and al.: des cellules-souches musculaires de souris adultes peuvent donner naissance en six à douze semaines à toutes les cellules des trois lignées sanguines après avoir été injectées à des souris préalablement irradiées[6].

 

Expérience de Clarke and al : Cette équipe a travaillé sur des cellules-souches nerveuses de souris in vitro (culture en présence de matériel embryonnaire) et in vivo. In vitro, les cellules-souches nerveuses se différencient en cellules musculaires. In vivo, le répertoire de différenciation est plus large. L’exemple le plus frappant est la formation de cœurs normaux, constitués en majorité à partir de cellules souches nerveuses[7]. Il s’agit à ce jour de l’expérience la plus impressionnante.

 

Expérience de Galli : des cellules-souches nerveuses adultes humaines et murines peuvent se différencier en fibroblastes[8].

 

Expérience de Menasché and al. : l’injection de cellules-souches musculaires humaines dans un myocarde infarci a permis la restauration en cinq mois d’une fonction cardiaque satisfaisante[9]. L’originalité de ce résultat est de montrer que des cellules souches musculaires striées peuvent se différencier en cellules musculaires lisses.

 

Enfin, pendant que nous mettions la dernière main à cet article, nous apprenions que la revue Cell avait publié le 3 mai les résultats d’une équipe américaine montrant que les cellules souches de la moelle osseuse de souris adultes peuvent s’autorenouveler et se différencier in vivo en cellules du foie, du poumon, du tube digestif et de la peau.

 

On remarquera que la plupart des travaux ont été effectués chez la souris. Il est cependant vraisemblable que les cellules-souches adultes humaines se comportent comme leurs consoeurs murines (à l’exception des publications de Galli et de Menasché). D’autre part, à l’heure actuelle, nous ne disposons que d’indices convergents. Chez la souris, il semble que les cellules-souches nerveuses puissent se différencier en cellules sanguines. Inversement, des cellules de stroma médullaire peuvent donner des astrocytes (Kopen). Enfin, des cellules musculaires peuvent donner lieu aux cellules sanguines des trois lignées. Il est beaucoup trop tôt pour que l’on puisse mesurer l’extension et les limites éventuelles des capacités de différenciation des cellules-souches adultes de la souris. En tout état de cause, l’affirmation de l’existence d’une cellule circulante humaine totipotente paraît prématurée et ne repose jusqu’à présent sur aucun faisceau de preuves expérimentales entraînant l’adhésion[10].

 

A supposer que les recherches sur les cellules-souches adultes humaines confortent les résultats obtenus chez leurs consoeurs murines et qu’elles aboutissent à une médecine de la régénération (et dans quelle mesure ?), les avantages du recours à cette voie seraient biologiques et éthiques.

 

Sur le plan biologique tout d’abord, les cellules-souches adultes sont d’obtention bien plus faciles que les cellules-souches embryonnaires. Elles sont disponibles chez tout individu et leur réimplantation après manipulation n’entraînerait par conséquent aucune réaction de rejet. Ensuite, les expériences et les observations se multiplient sur leur répertoire réel de différenciation. Elles sont probablement totipotentes. Enfin, il semble relativement aisé de contrôler leur différenciation, du moins selon les premiers rapports. 

La version intégrale de cet article sera publié dans la revue « Nucleus », Brugge, juillet 2001

 

[1]. J.-A. Thomson and al, “Embryonic Stem Cell Lines Derived from human Blastocysts ”, Science, 1998, 282, 1145-1147 ; M.-J. Shamblott and al., “ Derivation of pluripotent stem cells from cultured human primordial germ cells ”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 1998, 95, 13726-13731.

[2]. B.-E. Reubinoff, M.-F. Pera, Ch.-Y. Fong, A. Trounson, and A. Bongso, “Embryonic Stem Cell Lines from Human Blastocysts: Somatic Differenciation In Vitro”, Nature Biotechnology, 2000, 18, 399-404.

[3]. National Ethical Advisory Commission, Ethical Issues in Human Stem Cell Research, Volume I, Report Recommandations of the National Bioethics Advisory Commission, Rockville, Maryland, 1999.

[4]. C.-R.-R. Bjornson, R.-L. Rietze, Br.-A. Reynolds, M.-Cr. Magli et A.-L. Vescovi, « Rurning Brain into Blood:

A Hematopoietic Fate Adopted by Adult Neural Stem Cells in Vivo”, Science, 1999, 283, 534-537.

[5]. G. Kopen, D.-J. Prockop and D.-G. Phinney, “Marrow stromal cells migrate throughout forebrain and cerebellum, and they diffrenciate into astrocytes after injection into neonatal mouse brains”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 1999, 96, 10711-10716.
[6]. K.-A. Jackson, T. Mi and M.-A. Goodell, “Hematopoietic potential of stem cells isolated from murine skeletal muscle”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 1999, 96, 14482-14486.

[7]. D.-L. Clarke, Cl.-B. Johansson, J. Wilbertz, B. Veress, E. Nilson, H. Karlström, U. Lendal et J. Frisen, “Generalized Potential of Adult Neural Stem Cells”, Science, 2000, 288, 1660-1663.

[8]. Gali and al, « Skeletal myogenic potential of human and mouse neural stem cells”, Nature. Neuroscience, 2000, 3, 986-991.

[9]. Ph. Menasché, A.-A. Hagège, M. Scorsin, Br. Pouzet, M. Desnos, D. Duboc, K. Schwartz, J.-Th. Vilquin and J.-P. Maeoliau, “Myoblast transplantation for heart failure”, The Lancet, 2001, 357, 279-280.

[10]. M.-L. Labat, G. Milhaud, M. Pouchelet and P. Boireau, « On the track of a human circulating mesenchymal stem cell of neural crest origin”, Biomed and Pharmacother, 2000, 54, 146-162.

 

 

 

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