L’embryon en question

Publié le 8 Nov, 2015

La question du statut de l’embryon semble incongrue. Tant les lois que la science semblent passer outre, mais la réalité résiste à ce vide statutaire.

 

Qu’est-ce-qu’un embryon ? Un amas de cellules ou une personne humaine ? Des questions légitimes qui se posent sans se croiser ni se rencontrer quand elles ne s’opposent pas, confisquées en France par les mouvements féministes, depuis la dépénalisation de l’avortement en 1974, laquelle refuse, de fait, à l’embryon un statut propre en le réduisant à quelques cellules anodines.

 

Dix ans plus tard, en 1984, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE[1]) intervient pour tenter de remédier à ce vide statutaire et propose de définir l’embryon par le concept de « personne humaine potentielle ». Selon le CCNE, « cette qualification constitue un fondement de respect qui lui est dû ».

 

Mais c’est peine perdue. La définition ne résiste pas au dictat de la recherche scientifique et des intérêts économiques : le 22 janvier 2002, l’Assemblée Nationale adopte en première lecture un projet de loi qui autorise la recherche sur les embryons surnuméraires, laquelle avait été recommandée dès 1999 par un rapport du Conseil d’Etat. D’ailleurs en mai 2009, dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, ce même Conseil d’Etat déclarait que « dire qui est l’embryon ou ce qu’il est relève de l’impossibilité ». Et le 6 août 2013, le Parlement adopte définitivement un texte autorisant la recherche sur l’embryon et les cellules souches. Le pragmatisme l’a emporté sur la réflexion et l’embryon est réifié, sans statut, disponible à la recherche et au marché.

 

L’embryon, entre qualification juridique et définition philosophique

Néanmoins la question persiste. Sans réponse, elle se pose et s’impose : l’embryon est-il réductible à sa matérialité biologique ? « Il est inévitable de qualifier l’embryon mais la question n’étant pas abordée, elle reçoit au cas par cas des réponses contradictoires » déplore Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé à Evry[2]. « Le législateur ne sait pas si l’embryon est une personne ou non, et cette question première, dont tout découle et qui seule peut donner sa cohérence au statut, est systématiquement mise de côté ». Un vide juridique qui dénie à l’embryon le statut de personne juridique puisque la personnalité juridique s’acquiert à la naissance. N’étant pas considéré comme une personne juridique, il ne peut être reconnu comme une victime et reste sans protection, bien que l’article 16 du code civil stipule que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ».

 

Du côté philosophique, la difficulté n’est pas moindre. D’une part, « ce n’est pas à partir de l’ordre matériel que  la spécificité de l’existence humaine peut être donnée » prévient Bénédicte Mathonat, philosophe. Mais la science nous apprend que « le zygote, par nature, est un être possédant son propre patrimoine génétique et, surtout, la capacité que soit développée toute la différenciation organique nécessaire. Il ne peut pas être défini comme un simple ensemble de cellules porteuses d’un génome humain de la même manière que peuvent l’être des cellules de peau qui ne sont que des parties du corps de la personne. Ni même comme des cellules souches qui ne peuvent produire que des tissus différenciés. Il est le début d’un nouvel être humain et il n’y en pas d’autre » poursuit-elle dans une réflexion de sagesse qui ne prétend ni se substituer ni s’opposer à la réflexion scientifique mais lui donner une nouvelle lumière : son sens, sa signification, son intelligibilité. « Si l’embryon peut se structurer selon un ordre qui le perfectionne, c’est qu’il porte en lui une finalité ».

 

En effet, « le développement de l’embryon atteindra sa perfection dans la forme d’une personne humaine, libre, consciente, autonome, capable de relation. Car dans son être, l’embryon possède la capacité d’y parvenir », précise Bénédicte Mathonat. « Dès le début, on doit reconnaître dans l’existence de l’embryon, la présence de la personne humaine, selon un mode qui demeure caché aux sens, mais non à l’intelligence ».

 

L’embryon est-il une personne ?

Est-ce à dire que l’embryon est une « personne potentielle » selon la définition du CCNE ? Mais alors, à partir de quand et selon quels critères, devient-il une personne ? Multiples sont les réponses, plus ou moins concordistes, qui tentent de faire coïncider les dernières avancées scientifiques avec les postulats philosophiques, et risquent d’éroder le concept de « personne potentielle », c’est-à-dire de passer de la compréhension de  « personne en puissance », déjà présente, à celle de « potentialité de personne », autrement dit en personne possible mais non réelle. Par exemple l’embryon conçu in vitro peut-être qualifié de « personne potentielle », mais cela signifie qu’il ne pourra devenir une personne que s’il est implanté dans un utérus.

 

« Pour statuer sur l’embryon, mieux vaut éviter de partir de la notion de personne car dans l’histoire de la pensée, ce terme est plus complexe que celui d’être humain » alerte Bénédicte Mathonat. En effet, selon Boëce, philosophe romain du 5e siècle, la personne est une substance individuée, de nature rationnelle, et donc capable d’être sujet de ses actes, ce qui n’apparaît pas comme tel chez l’embryon. Mais, dès sa conception il est tout entier ordonné à être une personne humaine et doit donc être traité dès sa conception « comme une personne ».

 

Le caractère humain de l’embryon

Mais la question demeure : si l’embryon n’est pas encore une personne, que peut-il donc bien être ? « Qualifier l’embryon de personne humaine potentielle, de projet de personne ou de personne humaine en devenir ne résout rien car, finalement, il faut traiter l’embryon comme une personne, ou pas » estime Aude Mirkovic d’un point de vue juridique tout en ouvrant une autre question : « Le consensus sur la nature de l’embryon, outre le fait qu’il est introuvable, est un objectif insuffisant : il ne s’agit pas de se mettre d’accord sur ce qu’est l’embryon, mais de rechercher ce qu’il est. Cette recherche n’est pas évidente et comporte des risques d’erreur. Mais c’est là le lot de toute connaissance humaine ».

 

Une posture d’humilité intellectuelle qui est aussi celle de Bénédicte Mathonat : « Il est vrai que l’embryon porte en lui cette ambiguïté de ne pas dire ‘tout’ de l’homme et en même temps d’en être ‘le’ porteur », ce qui peut faire obstacle à l’intelligence contemporaine qui sait davantage déduire qu’induire, remonter du multiple au principe.

 

Mais « quelles que soient les convictions des uns et des autres quant au statut ontologique de l’embryon humain, il est difficile de nier, précisément son caractère humain, à défaut de quoi la science s’intéresserait différemment à lui » déclarait le CCNE en 2008. Une évidence scientifique pour Aude Mirkovic qui soutient que « l’embryon est un être humain », ce que confirme Jacques Testart, père d’Amandine, le premier bébé-éprouvette : « Si l’être humain ne respecte son œuf, il ne respecte pas l’humanité qui est dans l’œuf ». Mais dès le 3è siècle, Tertullien affirmait que « est déjà homme celui qui le sera ». Un simple principe de réalité mais une logique imparable qui devrait incliner les esprits forts …

 

[1] Comité Consultatif national d’éthique.

[2] Cf. Institut européen de bioéthique : www.ieb-eib.org« Le statut de l’embryon : la question interdite ! » Aude Mirkovic.

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