Le projet transhumaniste « bouleverse la conception de l’homme héritée des lumières », explique Nicolas Le Dévédec, docteur en sociologie et en science politique. Si la culture des lumières voulait « améliorer la société et nos conditions de vie sociales par des moyens politiques », à « changer le monde », le transhumanisme vise lui à « changer l’être humain » par des moyens technoscientifiques.
Le sociologue met en garde contre l’approche actuelle du transhumanisme qui consiste à « minimiser les risque et maximiser les avantages de l’humain augmenté ». Cette perspective « néglige considérablement les questions de fond posées par l’humain augmenté et l’idéologie transhumaniste ». Car « quand bien même l’augmentation humaine serait parfaitement libre et éclairée, l’égalité d’accès à ces technologies entièrement garantie et leur utilisation sans dangers pour la santé et la sécurité des individus, serait-elle encore souhaitable » ? Il serait nécessaire d’interroger plutôt « notre conception philosophique de la perfectibilité humaine », et le « modèle de société politique que recouvre le transhumanisme ».
Or le transhumanisme est « porteur d’une conception de la perfectibilité humaine résolument adaptative et dépolitisée ». L’objectif est de « changer techniquement l’être humain en lui-même plutôt que de questionner politiquement notre environnement social ». Pour les transhumanistes il s’agit de « s’adapter », de nous « accommoder chimiquement et biologiquement » à cet environnement. Ce qui constitue « la forme de dépolitisation la plus aboutie. Cela nous dissuade d’exercer notre esprit critique sur le monde, et entrave l’élan en faveur d’une amélioration sociale et politique ».
Les premières retombées sociales de ce renversement sont déjà visibles : « Derrière le fantasme d’un enfant parfait, il y a l’instauration d’un nouvel eugénisme lequel, pour libéral et consenti qu’il soit, encourage comme hier l’instrumentalisation de la vie humaine et l’intolérance croissante à l’égard du handicap. Derrière l’humain maître de ses émotions grâce à la pharmacologie, il y a l’émergence d’un humain complexé et souffrant, de plus en plus médicalisé, développant de nouvelles formes de dépendances et d’addictions. Derrière la quête d’une vie sans fin, il y a le jeunisme et la stigmatisation croissante de la vieillesse appréhendée comme une maladie dont il faudrait absolument guérir. Derrière la volonté d’améliorer biomédicalement l’humain et la vie en elle-même, il y a finalement l’exploitation bioéconomique des corps qui se matérialise chaque jour un peu plus ».
Nicolas Le Dévédec dénonce une idéologie qui « repousse en définitive continuellement la possibilité d’une vie authentiquement humaine, laquelle suppose d’être partagée plutôt qu’augmentée ». Il plaide pour « qu’avant de vouloir devenir plus qu’humains nous commencions par essayer de devenir plus humains ».
Le Figaro, Nicolas Le Dévédec (2/09/2016)