Le DPI : un diagnostic au ”potentiel eugénique”

Publié le 21 Juin, 2010

Le biologiste Jacques Testart, directeur honoraire de recherches à l’Inserm, revient sur l’avis 107 du CCNE concernant les diagnostics anténatals : diagnostic prénatal (DPN) et diagnostic préimplantatoire (DPI).

Sachant que de nombreuses maladies géniques ne peuvent être prévues par la recherche de cas familiaux ou l’analyse des génomes parentaux, on peut penser qu’à terme, "une attitude absolument sérieuse, et médicalement justifiée, devrait conduire à proposer l’évaluation génétique de tout embryon avant de prendre le risque de son développement. Si cela n’est pas encore réalisé, c’est seulement pour des raisons techniques et économiques mais rien dans le discours éthique, y compris celui récent du CCNE, ne s’y oppose, sauf des phrases sans autre portée que d’accompagner les glissements".

Pour Jacques Testart, la démarche du CCNE n’est pas cohérente : "Quelle logique amène le CCNE à limiter la détection de la trisomie 21 aux embryons des seuls couples relevant du DPI pour des risques génétiques déjà prévus par la loi ? […] Quelle logique amène le CCNE, dans les mêmes cas où le DPI est déjà indiqué, à ne pas proposer la recherche des autres aneuploïdies qui justifient couramment l’IMG ?" Jacques Testart suppose que cette "apparente incohérence dans une démarche qui se veut de bon sens" peut s’expliquer comme "une protection contre le soupçon d’eugénisme". La détection de la trisomie 21 qui est l’une des mesures proposées par l’avis 107 pourrait à terme être effectuée sur tous les embryons disponibles in vitro, "si la logique qui prévaut demeure celle de l’efficacité".

Il y a dix ans déjà, Jacques Testart avait dénoncé le "potentiel eugénique exceptionnel du DPI" dans ses ouvrages L’oeuf transparent et Le désir du gène. Aujourd’hui, si des bouleversements techniques – tels que la production d’ovocytes en abondance par différenciation de cellules souches ou par culture longue de fragment ovarien – pourraient permettre d’engendrer des embryons en grand nombre, et réduire les contraintes imposées par la FIV aux femmes, nul doute alors que "la séduction du DPI pourrait s’imposer à tous les couples souhaitant procréer de façon responsable, c’est à dire en donnant les meilleures chances à leur progéniture. Repousser l’examen éthique d’une telle situation, hautement probable à terme, jusqu’au moment où la technique nous aura mis au pied du mur, c’est conforter le dicton qui constate que ‘la science va toujours plus vite que l’éthique’, en omettant que la paresse éthique en est parfois la cause…Surtout, c’est ne pas se doter d’un bagage éthique susceptible de répondre à des situations qualitativement nouvelles".

Jacques Testart prévoit qu’ "au nom de l’implacable logique d’évitement de la souffrance", on ne pourra plus refuser aux couples les bénéfices "d’une grossesse ‘sécurisée’ ". Il rappelle qu’il n’existe pas et qu’il n’existera jamais de critère objectif pour juger de la gravité des maladies et pathologies ni de l’intolérance suscitée par les différences et les handicaps. Selon lui, la question urgente que le CCNE ne devrait pas oublier est celle de la limite.

En effet, quelle est la limite définitive réelle du champ du DPI si ses indications actuelles sont appelées à être dépassées, du fait d’une accoutumance ou pour s’aligner sur d’autres pays ? S’agit-il d’une véritable construction éthique si tout changement se résume à l’addition de nouvelles exceptions à ce qu’on présentait comme une règle ?

Contre l’avis du CCNE, Jacques Testart pense que la limitation du DPI à une seule mutation recherchée pour un couple, "véritable autolimitation de la puissance", est le seul moyen de permettre l’exercice de la liberté individuelle tout en empêchant la montée d’un eugénisme consensuel.

jacques.testart.free.fr 09/06/10 – Cahiers du CCNE (Jacques Testart) , 62, janvier-mars 2010

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