Le deuil, nouveau terrain d’exploration du numérique 

Publié le 21 Avr, 2021

Avec la pandémie de Covid 19, la mort s’est faite plus présente. Parallèlement, la distance entre les personnes imposées par les règles sanitaires a bouleversé nos deuils. Le numérique s’est peu à peu invité dans le processus de deuil. Marché juteux, nouveau terrain d’exploration du transhumanisme, le « commerce funéraire » se déploie, « des ‘simples’ cimetières en ligne aux pratiques les plus futuristes ».

Pour pallier l’absence cruelle d’un proche, les innovations technologiques fleurissent. Ainsi, alors qu’il apprend que son père est atteint d’un cancer en phase terminale, James Vlahos Junior développe une appli contenant tous les souvenirs de son père, collectés pendant l’année précédant sa mort. Il peut désormais entretenir une sorte de « conversation » avec son père, en fait avec un chatbot dans lequel il retrouve la personnalité de son père. « Ça ne m’a pas non plus aidé à faire mon deuil… Ce n’est qu’un simple tchat », avoue tout de même James Vlahos. Son appli est toutefois « commercialisée depuis un an aux États-Unis et transformée en une boîte vocale répondant de la voix du défunt ». Téléchargée une « petite centaine » de fois. En janvier, Microsoft lançait un chatbot similaire, promettant « de communiquer avec les morts ». La version élaborée par la russe Eugenia Kuyda a quant à elle dépassé « la barre des 10 millions de téléchargements dans le monde ». D’autres entreprises vont jusqu’à proposer des hologrammes de la personne décédée.

Un couple d’Américains « richissimes et adeptes du transhumanisme » ont mis au point un « robot clone d’un humain ». Dénommée Bina 48, il s’agit d’une « ‘copie’ d’un cerveau humain téléchargée dans une armature de fer ». Mais le projet ne s’arrête pas là : « ses créateurs tutoient le rêve d’un jour dépasser la mort et de faire vivre Bina dans un corps artificiel ». Et « plus de 60 000 personnes ont été convaincues de télécharger leurs souvenirs sur la plateforme de la fondation Terasem. Tous espèrent un jour « être téléchargés » sur leur propre robot intelligent ».

Lucide, Léa Joulaud, qui a perdu son père il y a 3 ans reste prudente : « Ça me fait peur tout ça, ce sont des cicatrices tellement difficiles à guérir, il faut être fou pour vouloir les rouvrir ».

Le pédopsychiatre Guy Gordier, spécialiste du deuil, décrypte : « Si c’est naturel d’être à la recherche d’une présence de la personne disparue, il y a un risque de trop s’y attacher, de rester prisonnier d’une réalité virtuelle, voire d’en devenir dépendant. Elle peut nous sortir du monde réel, et même parfois rendre nos relations difficiles […] Vivre un deuil, c’est accepter ce manque fondamental ». Quant au philosophe et président du comité national d’éthique funéraire, Martin Gay, il affirme : « Le virtuel abolit l’espace et le temps. C’est dangereux ». Certes, ces nouvelles technologies, si elles permettent simplement de conserver la mémoire [1], peuvent avoir un rôle positif.  « Pour ce qui est des technologies permettant de vivre dans un monde de zombies comme les chatbots ou les hologrammes… c’est à mon sens du n’importe quoi ! (…) Le principe du deuil, c’est justement le principe du choc. Les obsèques représentent le moment de la séparation, c’est un moment nécessaire pour grandir ». Et il poursuit : « Quand la personne disparaît, elle n’est plus là. En parlant à son substitut, je me parle en fait à moi-même. C’est une forme de folie douce. Il faut revenir au réel. Et il n’y a rien de plus réel que la mort elle-même ».

[1] Dans l’optique différente de « préserver la mémoire des défunts », les cimetières numériques ont vu le jour dès les années 1990. Tandis que sur Facebook, des utilisateurs transforment les comptes de leur proche décédé en compte hommage, Adangélis propose l’installation d’un QR code sur les tombes, afin que tous les visiteurs du cimetière puissent avoir accès à la biographie du défunt. L’entreprise Grantwill fournit de son côté la possibilité d’ « envoyer des messages post mortem ‘à ses amis et ses ennemis’ ».

Source : La Croix, Manon Chapelain (16/04/2021)

 

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