« Le corps est devenu une obsession nationale et internationale »

Publié le 14 Jan, 2021

A l’occasion des programmes de vaccination qui se déploient à travers le monde, « mise en rapport direct, sous l’aiguille du vaccin, entre le corps et l’Etat », Charlotte Epstein, professeur de théorie politique et de relations internationales à l’université de Sydney et chercheuse invitée au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), revient sur le rapport entre le corps et l’Etat dans une tribune pour le journal Le Monde. Un rapport « aux fondements de la modernité politique ».

« L’entrée en scène du corps à l’horizon de la philosophie et de la science aux XVIe et XVIIe siècles transforma la façon d’envisager le corps politique et le pouvoir, explique-t-elle. Il engendra une forme politique nouvelle, l’Etat. » Le professeur rappelle que Thomas Hobbes « introduisit le corps biologique dans la réflexion sur le corps politique ». Avec des enjeux « de taille » : « s’il réussissait à convaincre ses contemporains que tout, même Dieu, n’était que corps, il évacuait du même coup l’âme comme lieu possible de l’exercice du pouvoir et réglait ainsi le plus grand problème politique de son époque, la guerre ».

« La surveillance du et par le corps a été accélérée et normalisée. »

Aujourd’hui, nous sommes témoin du « retour en force de l’Etat » affirme le professeur. Et, « d’un autre côté, la surveillance du et par le corps a été accélérée et normalisée ». Ainsi, « désormais, le corps est traqué, ausculté, mesuré dans les moindres fluctuations de ses températures comme il n’eût été ni acceptable ni possible avant la pandémie, estime Charlotte Epstein. Jamais nous n’en avons su autant sur les anticorps ou les mécanismes de transmission virale ; le corps est devenu une obsession nationale et internationale ».

En conséquence, « la diffusion généralisée des appareils et autres applications de surveillance des individus dans leur quotidien devient de plus en plus difficile à remettre en question, constate le professeur, puisque nous sommes tous censés être impliqués dans la lutte contre la transmission du virus. C’est-à-dire pour un bien commun défini à l’aune du corps ».

« Notre sécurité est devenue corporelle avant tout. Ce corps tant mis en exergue est le point d’application de ce pouvoir étatique accru », analyse Charlotte Epstein. Et « l’impératif sécuritaire tend à prendre le pas sur toutes les autres obligations de l’Etat, comme la protection des libertés ». Mais « l’histoire de la surveillance le montre, cet appareillage du quotidien n’est pas près d’être démantelé au sortir de la pandémie », alerte-t-elle. « Au sortir de la pandémie, à nous de réclamer plus que la seule défense de nos bonnes santés. »

Source : Le Monde, Charlotte Epstein (14/01/2021)

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