C’est sur cette question que Danielle Moyse[1], Arnold Munich[2] et Gilles Grangé[3] se sont penchés mardi soir, lors d’une conférence « Questions de médecine » aux Bernardins[4]. Alors que Danielle Moyse dénonce un eugénisme actuel qui tend à se développer sous d’autres formes, Arnold Munich cherche à relativiser ces propos en témoignant de son expérience auprès des enfants malades, tandis que Gilles Grangé aborde la réflexion à travers l’angle de la liberté de la femme face à l’interruption de grossesse.
Danielle Moyse constate que l’eugénisme existe : éradication des fœtus trisomiques 21 dans les pays occidentaux, éradication des fœtus féminins dans les pays d’Asie. Ces statistiques sont renforcées par des actualités en tous genres : elle note dernièrement l’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui jugeait culpabilisante la vidéo « Dear futur Mom » parce qu’elle montrait que les personnes trisomiques 21 n’étaient pas forcément malheureuses, ou encore la naissance du jumeau trisomique 21 finalement gardé par la mère porteuse contre l’avis du couple receveur qui exigeait son avortement. Pour Danielle Moyse, cela manifeste une « idolâtrie de l’enfant sans défaut » et le fait que l’enfant devient le « produit du vouloir ».
Cet eugénisme explique-t-elle provient d’un renversement de pensée opéré par Descartes : l’homme se définit lui-même. C’est ainsi que nous aboutissons à l’auto-production de l’homme. Le nazisme en a été la manifestation la plus caricaturale, et l’affaire Perruche, par exemple, qui a laissé penser que l’on pouvait avoir une « reprise sur sa propre naissance », prévenait ce fantasme d’auto-fondation sous-jacent. L’ambition du bébé parfait est donc bien le fruit de cette pensée philosophique lointaine qui enferme dans la gestion du vouloir. Paradoxalement, analyse Danielle Moyse, cette idée aboutit au fait que nous ne nous appartenons plus à nous-mêmes, puisque désormais l’homme est le fruit d’un projet parental qui ne supporte plus le défaut.
Mais alors qu’Arnold Munich refuse « le discours diabolique selon lequel praticiens et parents sont à la recherche du bébé sans défaut », il semble corroborer malgré lui le projet « d’autoproduction de l’homme » décrypté par Danielle Moyse en invoquant le diagnostique préimplantatoire et en plaidant pour un diagnostique pré-conceptionnel.
Il considère que seuls les dépistages suivants permettent « d’éviter les maladies génétiques » : – le dépistage néonatal, fait pour des infections curables sur les enfants nés; – le dépistage prénatal « qui implique que nous sommes au courant d’un risque de maladie d’une particulière gravité » précise-t-il mais qui « n’est pas satisfaisant car dans la majorité des cas il aboutit à une interruption médicale de grossesse » ; – le dépistage préimplantatoire (DPI) qui reste lourd et astreignant dit-il (ndlr : et qui implique la sélection d’embryons) ; – le dépistage pré-conceptionnel, qui permettrait de regarder, avant la conception, si l’un des membres du couple est porteur d’une maladie d’une particulière gravité. C’est ce dernier dépistage qu’il faudrait à son sens développer et autoriser pour tous les couples qui le demandent.
Gilles Grangé conclut cette conférence en rappelant combien il est dur pour les femmes de rester libres face au dépistage prénatal, de la trisomie 21 notamment et à l’interruption de grossesse qui suit trop souvent. Plusieurs de ces patientes refusent de faire ce dépistage car elles veulent accueillir leur enfant sans être tentées de pratiquer l’irrémédiable. Il en vient donc à répondre indirectement à la question de la recherche du bébé parfait : «prendre soin de son enfant handicapé, c’est soignant pour tout le monde».
[1] Philosophe, Danielle Moyse est agrégée de l’Université et titulaire d’un Doctorat. Elle est chercheuse associée à L’institut de Recherches Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux (IRIS, Paris) et est auteur de nombreux ouvrages.
[2] Professeur et chef du département de génétique de l’hôpital Necker- Enfants malades
[3] Echographiste, Gille Grangé coordonne le département d’échographie obstétricale de la maternité de Port royal.
[4] Cette réflexion ouvre un cycle de conférences sur l’utopie contemporaine de la perfection qui se poursuivra par deux autres thèmes : « l’adulte parfait » et « le mourant parfait ».