La vie est-elle un préjudice ?

Publié le 30 Nov, 2000

Le 17 novembre 2000 la Cour de Cassation, siégeant en Assemblée Plénière a rendu une décision aux termes de laquelle il était solennellement affirmé qu’un enfant né handicapé subissait un préjudice du fait de sa naissance.

 

La Cour a considéré que : « dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Madame X avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap et causé par les fautes retenues. »

 

Sans se livrer à aucune interprétation partisane, il résulte des termes mêmes de la décision de la plus haute instance judiciaire française que la vie handicapée constitue un préjudice réparable. Selon cette décision prise en forme solennelle et ayant l’autorité qui s’attache à l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation, la mort est préférable à la vie. Cet arrêt méconnaît notamment l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui garantit le respect de la vie.

 

La haute juridiction a rendu cette décision alors même que l’Avocat Général à la Cour de Cassation l’avait expressément mise en garde sur le danger de s’aventurer vers l’eugénisme. Reprenant à son compte les observation du professeur J. HAUSER il avait dénoncé la tentation de s’inscrire dans une folie réparatrice ayant des implications philosophiques. Il avait, en outre, attiré l’attention de la juridiction sur le risque de voir conférer un rôle « normalisateur » à l’avortement.

 

Cette décision a évidemment provoqué une vive réaction parmi les journalistes, les médecins et les juristes. « L’arrêt fait l’impasse sur l’absence de causalité biologique tout en indemnisant l’enfant en raison de son état biologique. (…) Tous les malheurs ne sont pas juridiquement réparables selon le droit civil. (…) L’arrêt de la Cour de Cassation donne le message d’une société qui, sous couvert d’indemnité, discrimine et rejette » déclaraient Catherine Labrusse-Riou, Bertrand Mathieu et 30 autres professeurs de droit dans le journal Le Monde(1). Jean-Yves Nau écrivait dans le même journal : « pour l’opinion c’est bien le fait même de vivre handicapé qui désormais peut être reconnu comme un préjudice devant être réparé par de l’argent. (…) Pour prévenir le risque grandissant de poursuites judiciaires et de condamnations, les médecins n’auront guère d’autre choix que de placer les futurs parents devant leur nouvelle responsabilité et en cas de doute quant à l’absence de pathologie ou d’anomalie de les inciter directement ou pas à choisir un avortement  thérapeutique » (2).

 

Les personnes handicapées et leurs familles, directement mises en cause dans leur dignité par la plus haute autorité judiciaire de l’Etat ont violemment protesté.

 

C’est à cette occasion que plus de cent familles ont décidé de se réunir pour dénoncer ce qu’ils ont considéré comme une faute lourde commise par la haute juridiction dans l’exercice de sa mission de service public au sens de l’article L 781-1 alinéa 1 du Code de l’Organisation Judiciaire.

 

Symbolique, cette action judiciaire est accompagnée d’une démarche auprès des responsables politiques du pays afin qu’ils renforcent l’article 16 du Code Civil en ces termes : « la vie constitue le bien essentiel de tout être humain, nul n’est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance. Lorsqu’un handicap est la conséquence directe d’une faute et non de la nature, il est ouvert droit à réparation dans les termes de l’article 1382 du présent Code. »

 

De nombreux droits étrangers vont déjà en ce sens. La quasi totalité des décisions de la justice américaine a rejeté les revendications formées au nom de l’enfant, les juges refusant que l’on puisse se plaindre d’être né. La jurisprudence québécoise aussi est réservée. La loi anglaise quant à elle, assure déjà l’impossibilité d’exercer des procédures de cette nature. L’interdiction formelle de demander une indemnisation pour sa naissance est inscrite dans le Congenital disabilities act de 1976.

 

(1) : Le Monde du 24/11/2000

(2) : Le Monde du 27/11/2000

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