Jacques Testart : Résister au transhumanisme, pourquoi ? Comment ? (2/3)

Publié le 31 Mai, 2017

Lors de la conférence inaugurale du colloque “Critique de la raison transhumaniste” qui s’est renue au Collège des Bernardins les 19 et 20 mai derniers, Jacques Testart, biologiste de la procréation et “père” du premier bébé éprouvette, a rappelé les enjeux du transhumanisme (cf. Jacques Testart : Résister au transhumanisme “parce que l’humain vaut mieux que ce qu’il en parait trop souvent”). Il a aussi abordé les questions du pourquoi et comment résister au transhumanisme.

 

Avec amertume et un certain catastrophisme, Jacques Testart s’exclame : « Il est remarquable que des militants nombreux se soient mobilisés contre l’écocide mais que la fin de l’humanité, par l’anthropocide, inspire moins d’inquiétudes et d’actions que la disparition – bien sûr dramatique – des ours ou des abeilles ». Selon lui, notre sort devrait se sceller en trois décennies – vers 2050. Avec cette « fascination prométhéenne » de « l’homme augmenté », une rupture brutale s’est opérée, entre les générations et avec ce qu’on nommait, depuis des millénaires, « sagesse » ou « prudence ».

 

Comment s’opposer au transhumanisme ?

 

  • d’abord expliquer et débattre

 

Discours mythologique, pensée para-religieuse qui vient combler notre soif de sens et propose un horizon désirable, le transhumanisme suscite fascination et fantasmes. Il faut donc convaincre nos contemporains -surtout les plus jeunes- que les promesses transhumanistes sont des mirages. Par l’éducation – universelle ! – et le débat, – mais de peu de poids face aux intérêts économiques ! Et refuser des mots tels qu’« intelligence artificielle » ou « objet intelligent » qui réduisent l’intelligence humaine à la capacité de calcul des machines.

 

Faire de la pédagogie est « un art difficile et ingrat » dont Jacques Testart a fait l’expérience quand il a proclamé, il y a trente ans, que la sélection des embryons humains ouvrait la voie à « un nouvel eugénisme ». Au début, la population l’a entendu, pas ses confrères. Aujourd’hui, les gens sont conquis par les « miracles technologiques » et « indifférents devant l’avancée transhumaniste dont l’eugénisme est une pièce maîtresse ».

 

Donc, « on ne peut pas faire l’économie d’un combat politique contre le néo-libéralisme et l’idéologie de compétition qui le nourrit ».

 

  • contester la faisabilité des promesses

 

Une succession de victoires techniques ne feront pas la victoire promise, « toujours nous seront malades, toujours nous finirons par mourir ! L’immortalité prétendue n’est même pas celle des êtres humains, mais celle des cyborgs, des héritiers de notre part animale chargée de mécanique biologique ». Il faut souligner crûment la tromperie des promesses transhumanistes : l’immortalité, qui n’est que la perspective de réparations mécaniques ; la création du vivant, car « si on parvenait à fabriquer la vie, il s’agirait d’autre chose que ce que nous nommons la vie ».

 

On a déjà des exemples de la faillite des prétentions transhumanistes. Telle la thérapie génique qui « néglige les effets parfois gravement pathogènes de la position atypique d’un gène ajouté dans le génome ». Ou la modification du génome humain, aux avantages incertains et qui risque de créer des mutations et des épimutations. Méfiance donc, face aux folles promesses des prédicateurs du progrès sans limites.

 

Déjà la technoscience visait « l’amélioration du monde en abolissant le hasard ». Pour le transhumanisme, « il s’agit dorénavant de renouveler le monde, en s’abandonnant aux événements aléatoires ! » Ces pratiques d’apprentis sorciers « introduisent des risques irréversibles ». On assiste à « un véritable dirigisme, quand c’est l’homme qui prétend piloter l’évolution ». C’est là que « se vérifie la prétention d’égaler Dieu en même temps que le caractère potentiellement suicidaire de cette démarche ». Le physicien Stephen Hawking déclarait en décembre 2014 : « … je pense que le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à la race humaine ».

 

« Les courants transhumanistes, insiste Testart, font mine d’accepter les principes moraux tels que les traditions ou les religions les ont élaborés, même si leur recherche d’efficacité peut exalter certaines valeurs propices surtout à la compétition ». Mais « ce qui est en construction ressemble à une nouvelle religion. Pourquoi ne fabriquerait-elle pas, elle aussi, sa propre morale ? Une morale que les hommes d’aujourd’hui pourraient estimer criminelle, ou égoïste, ou complètement immorale ».

 

  • agir au niveau des sciences

 

Beaucoup de chercheurs « sont investis dans des disciplines dont les débouchés

potentiels correspondent clairement aux objectifs du transhumanisme ». Et, innocemment, rétorquent faire seulement de la recherche !

 

Face à la menace transhumaniste, quelques propositions actuelles. Un serment d’Hippocrate des chercheurs s’engageant à ne pas nuire, très insuffisant ; un Manifeste pour une recherche scientifique responsable, de l’association Sciences Citoyennes (dont il est président d’honneur), avec refus de la marchandisation de la science devenue technoscience, poursuite du « bien commun » dans la recherche,

responsabilité du chercheur, promotion d’une « slow science », « qui se donne le

temps de la réflexion pour s’accorder avec le bien commun, contre la violence des nouveautés imposées ».

 

En 2016, le comité d’éthique de l’Inserm a recommandé « que toutes les recherches puissent être menées librement en France », « y compris sur les cellules germinales et l’embryon ». Recommandation non contredite par d’autres institutions et soutenue par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cette séparation – « naïve ou perfide » –, entre la recherche – autorisée par principe – et les applications – qui seraient à placer sous contrôle -, subordonne le positionnement éthique aux résultats des recherches, c’est-à-dire à la démonstration de leur efficacité et de leur innocuité apparente. « Déjà, dans plusieurs pays, des chercheurs méprisent impunément la déclaration d’Oviedo (1997) qui interdit les modifications génétiques de cellules humaines si elles sont transmissibles à la descendance ».

 

  • compter avec la bioéthique et la loi

 

Aujourd’hui, « l’éthique se trouve réduite à un service minimum par la ‘bioéthique’ qui ne conçoit la liberté des personnes que comme la permission d’agir donnée aux individus ». Comme le dit la psychanalyste Monette Vacquin, « ce qui caractérise ce moment de l’humanité semble être une attaque sans précédent portée à la catégorie de l’Autre, anéantie par la maîtrise, à celle de la différence, abolie dans la chimère ou l’hybridation, à celle du corps sensible, dans la proposition prophétique, à celle de la pensée, dans sa réduction à ses seuls aspects fonctionnels, à celle de l’Interdit enfin, par sa disqualification au nom de la liberté de la recherche ».

 

Le problème de la bioéthique est d’abord et toujours celui de la limite. Où placer la barre de la permissivité et qui en décide ? Lorsqu’en 1986, Jacques Testart avait proposé une limite radicale, « celle du non recours à ce tri des embryons », au cause du risque d’eugénisme, les responsables politiques lui avaient objecté « qu’on ne peut pas arguer d’un risque encore hypothétique pour empêcher une action biomédicale, revendiquée par les patients et praticiens, et qu’il était donc urgent d’attendre, c’est-à-dire de laisser faire… » !

 

 

Pour lire la suite de l’intervention de Jacques Testart :

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