Ce mois-ci, les chercheurs de Google « ont fait les gros titres avec les résultats d’une étude qui affirme que leur système d’intelligence artificielle pourrait se révéler plus performant que les médecins pour détecter les cancers du sein à partir des mammographies ». Mais, même si l’intelligence artificielle pourrait probablement bénéficier au secteur de la santé, ces bénéfices « dépendront de la façon dont elle sera utilisée ». Si les médecins posent les mauvaises questions, cela se révèlera « un fiasco », et « pourrait même amplifier les erreurs commises ».
Sur le sujet du cancer du sein par exemple, le dépistage est controversé depuis des décennies : « en soumettant des personnes asymptomatiques à des mammographies, on trouvera beaucoup de choses ressemblant à un cancer mais qui n’auraient jamais menacé la vie de personne ». Et le problème est qu’au moment du dépistage « il est presque impossible de savoir si une lésion donnée deviendra dangereuse ou inoffensive ». La conséquence : en pratique, les médecins ont tendance à traiter tous les cancers découverts. Et la question de savoir si les mammographies sauvent réellement des vies reste très controversée. Certaines études estiment même qu’ « elles sont globalement mauvaises pour la santé des patientes, en raison des traitements excessifs et des tumeurs créées par les radiations ».
Les systèmes d’intelligence artificielle tels que celui de Google peuvent ainsi empirer les excès de dépistage, de diagnostic et de traitement. Et, « il n’est même pas clair qu’ils puissent améliorer concrètement les taux de faux positifs et de faux négatifs ». En effet, les performances du système de Google ont été comparées à celles de radiologues « qui n’étaient pas spécifiquement entraînés à examiner des mammographies ».
Au-delà du cancer du sein, l’intelligence artificielle est conçue pour pouvoir prendre en compte des variables qui n’étaient pas considérées comme importantes. Peut-être parce qu’elles ne l’étaient pas. Et être néanmoins utilisées pour formuler de nouveaux diagnostics. Deux questions fondamentales doivent être posées : « quel est le problème que la technologie essaie de traiter et dans quelle mesure elle améliorera le devenir des patients ? ». Répondre à ces questions pourrait prendre du temps. Pour Vinay Prasad, hématlogue et oncologue à l’Oregon Health & Science University School of Medicine, « l’état d’esprit de la Silicon Valleyr peut être dangereux pour les praticiens ». Il explique : « C’est cette attitude -quand des vies sont en jeu, il faut mettre en œuvre les nouvelles idées prometteuses aussi vite que possible- qui nous a mis dans ce bazar de dépistage du cancer du sein », et précise : « la mammographie a été adoptée avant d’avoir des preuves et quand une pratique médicale est devenue standard, il est très difficile de faire marche arrière ». Et de regretter : « Dans une culture habituée à l’immédiateté et aux déclarations excessives, il est difficile de faire preuve d’humilité et de patience ».
Pour aller plus loin :
Intelligence artificielle et médecine, le miroir aux alouettes ?
Intelligence artificielle : la conquête d’un marché du corps humain
Wired, Christie Aschwanden (10/01/2020)