Grégor Puppinck : “Céder aux revendications de bricolages procréatifs est une lâcheté”

Publié le 17 Sep, 2019

A l’heure où, en France, l’Assemblée nationale discute du projet de loi de bioéthique, la Cour européenne des droits de l’homme se penche sur une série de revendications autour de la procréation médicalement assistée. Docteur en droit et directeur de l’ECLJ (Centre européen pour le droit et la justice), Grégor Puppinck fait le point.

 

De façon sans précédent par son ampleur, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a décidé de juger une série d’affaires de bricolage procréatif. En cause : la séparation complète entre le sexe, la procréation et la parentalité ; l’effacement de la famille biologique comme référence des normes sociales.

 

Ces affaires nous montrent à quel point le désir d’enfant peut conduire à la folie ; et comment cette folie peut devenir réalité grâce à la technique. Devenue réalité, elle s’attaque à présent aux normes juridiques pour transformer ce désir en droits et reconfigurer, à travers eux, la réalité sociale à son image, dans l’espoir illusoire de se normaliser.

 

Voici d’abord un résumé de ces affaires ; nous verrons ensuite les problèmes qu’elles posent.

 

Le désir de faire un enfant avec un mort

 

Une femme française conteste le refus des autorités françaises de transférer des spermatozoïdes congelés de son défunt compagnon vers une clinique espagnole où elle pourrait procéder à une insémination post mortem. Elle met ainsi en cause la loi française qui impose que l’homme et la femme formant le couple désireux de recourir à une procréation médicalement assistée (PMA) soient « vivants » et qu’il soit mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne (V. D. c. France).

 

Le désir de la mère d’être le père de l’enfant

 

Dans une autre affaire, la véritable mère d’un enfant conçu avec un don anonyme de sperme se plaint de ne pas figurer comme « père » sur l’acte de naissance, au motif que, transsexuelle, elle avait déjà obtenu d’être identifiée comme « homme » sur son propre état civil. Elle voit dans le fait d’être qualifiée de « mère » une violation de ses propres droits et de ceux de l’enfant en ce que cela « contredirait fondamentalement leur perception de leur relation » et les contraindrait à révéler fréquemment la transsexualité de la mère (O.H. et G.H. c Allemagne).

 

La demande d’une présomption de maternité pour la « femme de la mère »

 

Deux lesbiennes allemandes se plaignent, en leur nom et en celui de l’enfant, que la compagne de celle qui a accouché ne bénéficie pas d’une « présomption de maternité », à la
différence des hommes dans les couples hétérosexuels qui bénéficient de la présomption de paternité. Elles dénoncent une discrimination, alors même que la « femme de la mère »  a
pu adopter l’enfant. Le cas est compliqué par le fait que l’enfant a été porté par l’une et conçu avec l’ovule de l’autre et le sperme d’un donneur anonyme ; ce qui est interdit en
Allemagne (R.F. et autres c. Allemagne).

 

Le désir d’être « mères » d’un même enfant

 

Deux lesbiennes autrichiennes se plaignent de figurer comme « Mère/Parent » et « Père/Parent » sur l’acte de naissance d’un enfant conçu et porté par l’une, et adopté par
l’autre. Elles dénoncent une discrimination par rapport aux parents hétérosexuels en ce que ces mentions laissent deviner que la femme mentionnée comme « Père/Parent » n’est pas la mère de l’enfant. Elles veulent figurer chacune comme « mère », ou comme « parent » sur  l’acte de naissance de l’enfant afin d’effacer toute différenciation biologique (S.W. et autres c.Autriche).

 

L’obligation pour les Etats d’instituer « l’homoparentalité »

 

Deux autres affaires visent à forcer la Pologne à enregistrer des personnes de même sexe comme les parents d’un même enfant. Dans un cas, l’enfant a été conçu par PMA au profit
d’un couple anglo-polonais de femmes vivant au Royaume-Uni. Dans l’autre, des jumeaux ont été conçus par GPA aux Etats-Unis au profit d’un couple israélo-polonais d’hommes
vivant en Israël. Ils dénoncent le refus de la Pologne de transcrire les actes étrangers de naissance des enfants, estimant que cette décision viole leur « droit à être considérés comme
parents
 » et affecte la nationalité et les droits successoraux des enfants. Ils dénoncent en outre une discrimination en raison de leur homosexualité (affaires A.D.-K. et Schlittner-Hay contre la Pologne).

 

Le désir d’être déclarée mère d’un enfant conçu et porté par d’autres femmes

 

Dans trois autres affaires, des couples se plaignent du refus de la France de reconnaître comme mères, au motif qu’elles n’ont pas accouché, des femmes commanditaires d’enfants
nés de mères porteuses à l’étranger. Ils demandent à la CEDH de condamner la France à transcrire intégralement sur les registres d’état civil les actes de naissance établis à l’étranger
en vertu de conventions de gestation par autrui (GPA), alors même que cette pratique est interdite en France et qu’aucun lien biologique n’est établi entre les enfants et les femmes
commanditaires (affaires Braun, Saenz et Saenz Cortes, et Maillard contre la France).

 

Ces affaires sont symptomatiques des revendications catégorielles de bricolage procréatif 

 

  • Les requérants contestent le fait que le droit soit encore calqué sur la nature humaine qui, elle, est biologiquement hétérosexuelle, et veulent disposer de la filiation et de l’identité des enfants.
  • Ils omettent complètement la mère porteuse ainsi que le père qui est réduit au rang de source de sperme, alors même qu’ils se prévalent, le cas échéant, de leur propre lien génétique avec les enfants.
  • Ils prétendent agir au nom et dans l’intérêt des enfants, alors même qu’ils ignorent, voire méprisent, le droit et l’intérêt de ceux-ci à connaître leurs parents biologiques et à être élevés par eux (Convention internationale des doits des enfants, art. 7).
  • Ils placent la société devant des faits accomplis et la somment de régulariser une situation qu’ils ont eux même provoquée en contournant à l’étranger des interdictions posées dans leurs pays respectifs.
  • Ils demandent aux juges européens de condamner des choix législatifs nationaux.

 

L’enchaînement des jurisprudences

 

Ces requêtes paraissent insensées, mais elles s’inscrivent dans la continuité de précédents jugements de la CEDH. Ainsi, c’est parce que le changement de sexe à l’état civil n’est plus
subordonné à un changement morphologique qu’une mère peut se prétendre père (A. P. Garçon et Nicot c. France). C’est parce que la CEDH a condamné l’Autriche en 2013 à
légaliser la possibilité d’adopter l’enfant du partenaire de même sexe que les femmes autrichiennes demandent à présent à figurer toutes deux comme « mères » (X et autres c.
Autriche). De même, c’est parce que la CEDH a condamné la France en 2014 à transcrire la filiation paternelle des enfants nés par GPA à l’étranger que la « mère d’intention » réclame à présent le même droit pour elle-même (Mennesson c. France).

 

De décision en décision, il y a bien un effet d’entraînement, de ”pente glissante”, suivant une inclinaison que la Cour semble ajuster au gré de l’époque, tant il est étonnant que toutes ces affaires – dont certaines sont anciennes – soient rendues publiques en même temps. En matière de GPA, le Président de la CEDH avait d’ailleurs reconnu en 2015 que la libéralisation de cette pratique s’opère suivant un « rythme imposé par notre Cour ». D’autres affaires suivront, chaque fois plus choquantes, telles que des cas de « multi-parentalité » dans lesquels trois adultes, ou plus, réclameront d’être « reconnus parents » d’un même enfant. De même, plus aucun motif sérieux ne permettra de s’opposer à la libéralisation de la polygamie et de la polyandrie.

 

En fait, dès lors que le droit se détache de la réalité naturelle au profit de la seule autodétermination, plus rien ne peut l’arrêter.

 

Et il devient très difficile pour le juge de justifier une limitation aux désirs individuels. Cela s’explique d’abord par le fait que la société occidentale a perdu le sens de la nature et du bien commun qui pouvaient seuls justifier une limitation aux désirs individuels. Car, en effet, la nature, en nous conditionnant, pose une limite à nos désirs, et le bien commun en détermine la justesse. Cela s’explique aussi par le fait que les droits de l’homme ont été conçus pour défendre les individus des oppressions sociales, au point d’en faire une arme contre toutes les normes sociales. Or, sans référence au bien commun et à la nature, ces normes sont progressivement, et inéluctablement, dissoutes dans la vie privée. Les droits de l’homme deviennent ainsi le vecteur de l’affirmation de soi et des égoïsmes.

 

Il y a un siècle déjà, les promoteurs des techniques de contrôle artificiel de la procréation croyaient que séparer la procréation de la sexualité marquerait un progrès décisif dans le processus d’évolution de l’humanité. Ils pensaient que l’homme gagnerait ainsi le pouvoir de s’engendrer de façon rationnelle et responsable, et ne serait plus le jouet d’une nature aveugle. Ils croyaient que l’homme serait plus sage et ingénieux que la nature, qu’il pourrait ainsi atteindre un plus haut degré de perfection et de bonheur, et qu’il pourrait « spiritualiser » la sexualité. Telle était l’ambition. Ambition présomptueuse lorsque l’on observe aujourd’hui ses fruits : la folie sans limite du bricolage procréatif, de l’eugénisme, et du recours massif à la pornographie et à l’avortement… La nature est bien plus sage que nous. 

 

La maîtrise technique de la nature ne devrait pas nous dispenser d’en respecter les lois. La nature, certes, est bonne-mère, patiente et silencieuse ; mais on dit avec raison qu’elle ne pardonne jamais. Et c’est toujours dans la douleur qu’elle se rappelle à nous. Ainsi, c’est la douleur des enfants nés d’un don anonyme de sperme qui nous rappelle aujourd’hui notre besoin naturel de connaître pleinement notre identité, y compris dans sa dimension physique et filiale. C’est aussi la douleur des enfants issus de GPA et de PMA-anonymes et de leurs parents « biologiques », face à l’interdiction légale d’établir leur filiation, qui nous rappelle l’importance des liens du sang. C’est aussi la douleur des mères porteuses qui ne veulent plus livrer leur enfant qui nous rappelle l’importance de la maternité. De même, c’est la douleur des enfants issus des bricolages procréatifs et familiaux qui nous rappelle le besoin et le droit naturels d’être aimé et élevé par ses véritables parents, dans une famille équilibrée.

 

Si notre société n’est plus capable de voir l’injustice de ces situations, au moins peut-être serons-nous sensibles à la souffrance qu’elles engendrent. Et si l’on reste insensible à cette souffrance, nous serons alors confrontés à la violence qu’elle ne manquera pas d’engendrer à son tour. Céder aux revendications de bricolages procréatifs est une lâcheté face à notre responsabilité de protéger les générations futures.

 

Article publié initialement dans le magazine Valeurs Actuelles du 13 septembre 2019 sous le titre : “Droit à l’enfant pour toutes” : la pente glissante de la CEDH

 

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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