GPA : la mère porteuse conserve l’autorité parentale

Publié le 7 Nov, 2022

La Cour de cassation a eu à connaître le 21 septembre dernier d’une question peu banale, et à notre connaissance inédite en matière de GPA, puisqu’elle concerne l’autorité parentale de la mère porteuse. Dans cette affaire, un Français a obtenu deux enfants nés en Inde d’une gestation par autrui dont la mère, de nationalité indienne, a renoncé à ses droits parentaux. Afin de faciliter l’adoption des enfants par son conjoint, le père biologique demande en justice le retrait de l’autorité parentale à son égard. La Cour d’appel de Lyon, approuvée ici par la Cour de cassation, refuse de prononcer ce retrait.

Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé, porte-parole et directrice juridique de l’association Juristes pour l’Enfance, décrypte cette décision pour Gènéthique.

 

Gènéthique : Comment se justifie le maintien de l’autorité parentale de la mère porteuse alors qu’elle a renoncé à ses droits parentaux ? Est-ce lié à un maintien d’un lien de filiation malgré tout ?

Aude Mirkovic : A partir du moment où la mère porteuse figure comme mère sur l’acte de naissance de l’enfant, sa maternité est juridiquement établie. Elle est la mère et, à ce titre, elle est titulaire de l’autorité parentale. Or, l’autorité parentale est autant un devoir qu’un droit pour les parents, et ils ne peuvent y renoncer dans n’importe quelles conditions. En droit français, il faut une décision de justice. La décision la plus radicale est le retrait de l’autorité parentale, prononcée par le juge à l’encontre des parents auteurs d’un délit ou d’un crime sur leur enfant, ou encore des parents qui mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant.

Il existe aussi une procédure qui, en dehors de toute idée de sanction des parents, consiste à priver l’un des parents de l’exercice de l’autorité parentale lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause.

Cette procédure aurait pu correspondre au cas de la mère porteuse indienne, mais il est probable que le but était de pouvoir se passer de son consentement à l’adoption de l’enfant. Or, la privation de l’exercice de l’autorité parentale ne prive pas le père ou la mère de la prérogative de consentir à l’adoption de son enfant car le droit de consentir à l’adoption du mineur n’est jamais délégué.

Il aurait fallu un retrait non seulement de l’exercice de l’autorité parentale mais de l’autorité parentale tout court. C’est ce qui est demandé et refusé en l’espèce, dès lors que ce retrait ne peut être prononcé par le juge que dans des circonstances précises, non réunies ici : en effet, la Cour d’appel de Lyon « a souverainement retenu qu’il n’était produit aucune pièce propre à démontrer que l’absence de leur mère soit source de danger pour eux ». Or, on ne retire pas l’autorité parentale à la légère à une mère, fut-elle mère porteuse. Pour une fois, la Cour de cassation tient compte de l’existence de la mère porteuse, ce qui mérite d’être souligné. D’ailleurs, « mère porteuse » n’est pas un concept juridique. Elle est mère, et il ne suffit pas de l’appeler « porteuse » pour que l’autorité parentale puisse lui être de ce seul fait retirée.

G : Qu’implique concrètement ce maintien de l’autorité parentale de la mère porteuse ?

AM : Il faut le consentement des deux parents pour tous les actes relevant de l’autorité parentale. En pratique, GPA ou non, lorsque le père ou la mère accomplit seul les actes usuels de l’autorité parentale, le Code civil présume le consentement de l’autre parent pour éviter la lourdeur d’avoir à réunir les deux parents à tout instant. Pour les actes importants, le consentement explicite des deux parents est requis mais, en pratique, les occasions de recueillir le double consentement sont rares et, lorsque c’est le cas, il est probable que le simple fait d’expliquer que la mère est une mère porteuse indienne, ou de rester dans le flou sur le fait que l’enfant n’a pas de mère, doit suffire. D’ailleurs, hors cas de GPA, les tiers se contentent en général d’un seul consentement si le père ou la mère explique un cas d’éloignement ou d’empêchement de l’autre parent : par exemple, l’établissement scolaire se contentera d’une seule signature pour un voyage de classe si l’on explique que l’autre parent est sur une plate-forme pétrolière. La situation est plus tendue en cas de litige entre les parents, et les tiers seront alors plus vigilants pour ne pas risquer d’engager leur responsabilité à l’égard de celui qui n’aurait pas été sollicité pour donner son consentement.

Pour en revenir à notre cas, il est notable que la Cour de cassation, pour une fois, n’ignore pas l’existence de la mère porteuse : il y a sans doute eu recours à des ovocytes achetés à une autre femme, mais la mère porteuse a mis les enfants au monde et sa maternité est juridiquement établie. Elle est dès lors envisagée comme telle, en tant que mère.

La Cour de cassation autorise depuis longtemps le “détournement “de l’adoption de l’enfant rendu délibérément adoptable par la GPA qui organise l’éviction de la mère : il sera donc possible, in fine, d’évincer la mère mais les juges refusent de l’ignorer et exigent, finalement, qu’elle pose au moins ce dernier acte, en tant que mère, de consentir à l’adoption des enfants. Cela ne rendra pas aux enfants la filiation claire et complète dont la GPA les prive, cela n’effacera le fait qu’ils ont fait l’objet d’un contrat de remise en échange d’un prix, qu’ils ont été exposés délibérément à une blessure d’abandon en étant séparés de leur mère à la naissance mais, pour une fois, les juges n’acceptent pas que la volonté des commanditaires soit toute puissante au point d’effacer la réalité que ces enfants ont une mère. Une mère dont ils sont privés, c’est le principe de la GPA, mais qui existe.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Expert

Maître de conférence en droit privé, Porte-parole et Directrice juridique de l'association Juristes pour l'Enfance

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