Vendredi 29 janvier, Corine Pelluchon, philosophe spécialiste de philosophie politique et d’éthique appliquée, était l’invitée du Forum Européen de Bioéthique pour aborder le thème de l’autonomie à travers la vulnérabilité : Comment penser l’autonomie d’une personne vulnérable, en cas de dépendance extrême ?
L’intervenante a d’abord insisté sur la nécessité de sortir d’une réflexion binaire qui mène à considérer l’autonomie comme « introuvable » chez une personne dépendante, pour « aller à la rencontre de la personne là où elle est, et non là où l’on voudrait qu’elle soit ».
« Même dans des situations de vulnérabilité extrême, l’autonomie reste un horizon », affirme-t-elle, mais cela nécessite de modifier en profondeur le sens que nous avons donné à l’autonomie. Si « la maladie, même chronique, change la vie », il ne faut pas la voir comme une anomalie. Au contraire, il importe de continuer à affirmer son désir de vivre, mais avec d’autres normes que celles imposées par la société, qui « rendent difficile l’acceptation des maladies, de la vieillesse, bref, de tout ce qui échappe à ma volonté ».
Corine Pelluchon a proposé une démarche thérapeutique qui « prendrait au sérieux la notion de vulnérabilité », en montrant que la fragilité peut aussi être une force. Cette démarche insisterait chez la personne malade sur « les promesses de vie demeurées intactes ». « L’erreur, c’est d’enfermer la personne dans le soin », note-t-elle.
Pour elle, il faut réinvestir l’éthique du care, mais sans faire abstraction de « toutes les grandes théories classiques qui invitent à travailler sur soi ». Notre « éthique [est] trop centrée sur l’individu » et trop focalisée sur son autonomie, dans une société de compétition et d’atomisation qui se prétend altruiste. L’homme doit donc être repensé, non enfermé sur lui-même, « mais comme ayant une vie débordée par celles des autres », car « l’individu, quand il est tout, seul, finalement il ne respire pas ».
Pour ce faire, Corine Pelluchon invite à s’appuyer sur le corps, dont la fragilité n’est qu’une face, qui permet d’insister sur « ce qui vient avant ma conscience », de « rencontrer nécessairement l’existant » avant tout. Pour elle, l’éthique pourrait se définir comme « la place que j’accorde dans mon existence à l’existence des autres ». Mais cette éthique, ajoute-t-elle pour finir, commence par soi, car nos vies ont une épaisseur qui ne peut se réduire à nos relations.
A la question d’Israël Nisand qui demandait « comment appliquer le concept d’autonomie au fœtus ? », on peut regretter que Corine Pelluchon ait voulu sortir du débat sur l’être de l’embryon. Elle a cependant proposé de se pencher sur la manière dont les parents reçoivent cet être, et elle a montré que c’est aussi parce que « l’inattendu est mal vécu » dans notre société qu’il est difficile pour des parents d’accueillir un enfant malade.
Finalement, Corine Pelluchon a souligné la nécessité de sortir d’une certaine normativité imposée pour reconnaître l’autonomie dans une situation de vulnérabilité.