En s’attachant à augmenter l’homme, le transhumanisme se targue de narguer la mort et annonce sa fin. Pour autant, l’hypothèse est-elle plausible ?
« Pour en finir avec la mort ». Ce thème provocateur faisait l’objet d’une conférence au cours de la première journée du Forum européen de bioéthique. Les interventions très inégales, rassemblaient autour de ce thème un neurologue, Aurélien Benoilid, un journaliste, Rémi Sussan, un notaire, Maitre Jean-Marie Ohonet. Elles ont cependant été dominées par la parole forte de Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg.
Très vite les intervenants font comprendre que la question de l’immortalité, qui devient prégnante dans nos sociétés, renvoie à la façon dont nous abordons, dont nous considérons la mort : « Aujourd’hui, on emmène plus les enfants aux enterrements, ‘pour les préserver’, mais de ce fait, ils ont un rapport ambigu à la mort », explique Michel Deneken. Mais elle dépend surtout de la façon dont nous envisageons la vie ! « Dans les sociétés où le récit de l’avenir est positif, la question de la mort de la mort ne se pose pas ! ».
S’ils constatent que « l’époque contemporaine ne sait plus quoi faire de la mort », pour la plupart des intervenants, l’abolition de la mort est une utopie. Une étudiante, grand témoin de cette table ronde, explique qu’elle a interrogé de nombreuses personnes et que la plupart d’entre elles souhaitent mourir. Elles considèrent que « l’être humain vit un cycle naturel et qu’il doit un jour s’éteindre ». Dans la salle qui interagit au cours des conférences, des voix se font entendre pour dire que « vaincre la mort n’est ni possible, ni souhaitable ». Michel Deneken estime quant à lui que « la mort de la mort est la porte ouverte à toutes les transgressions ».
La mort met cependant l’homme au défi de la comprendre. Pour Aurélien Benoilid, « l’organe qui pense la mort est celui qui va mourir ». Aussi, se trouvant dans l’incapacité de comprendre, l’esprit fait un « switch », facilité aujourd’hui car « nous avons médicalisé la mort et nous la refusons », ajoute Michel Deneken. Pourtant, « les vrais vivants sont ceux qui n’ont pas peur de la mort, c’est une leçon oubliée ». « Accepter la mort comme définitive, comme saut radical dans la confiance, c’est donner un poids immense à l’instant présent. Il y a un impératif à vivre que la mort nous indique ».
Une jeune femme dans la salle interroge : « Dans la perspective transhumaniste, l’immortalité est un choix ou une obligation ? », à quoi Aurélien Benoilid répond que « vivre éternellement, c’est mourir éternellement ». La question pour autant, ce qui sera souligné, renvoie à l’euthanasie et au suicide assisté qui, dans une perspective d’immortalité, deviendront des choix nécessaires. Ce qui interoge éthiquement et finalement, ne fait que déplacer la question de la mort.
La critique se fait acerbe chez Michel Deneken : « Je n’ai pas l’orgueil de croire que je sois si important que je doive être ‘transhumanisé’. L’immortalité du corps est un problème d’égoïsme absolu, on est dans une rupture éthique ». Il déplore que l’existence préservée de ceux qui ont de l’argent conduise à des inégalités encore plus grandes et génèrent un surcroit de pauvres. Il replace le débat sur le plan de la relation humaine, qui est le véritable enjeu : « On meurt différemment selon qu’on tient la main de quelqu’un ou pas, qu’on laisse ou non un capital de vie ».
Pour maitre Jean-Marie Ohnet, l’immortalité se situe ailleurs : « Vivre éternellement, c’est rester le plus longtemps possible dans la mémoire de ceux qui restent ».