Sur Slate.fr, François Goldwasser, professeur en cancérologie à la faculté de médecine Paris-Descartes, et chef du pôle spécialités médico-chirurgicales et cancérologie du groupe hospitalier Cochin (Paris), précise sa pensée lorsqu’il explique qu’ "aider au suicide est une redoutable régression éthique".
Avant de développer cinq points clés, François Goldwasser explique que "la question de la fin de vie ne peut se penser isolément, sans prise en compte de l’état des lieux du système de santé et de sa tendance lourde à valoriser la technicité aux dépens de la relation soignante". En effet, faire abstraction de ces éléments c’est "aller vers de moins en moins d’humanisme et de solidarité". En outre, "la question de la fin de vie n’est pas réductible à un souhait individuel, elle s’inscrit dans la vie collective et va influencer la pensée des personnes vulnérables, déjà promptes à se culpabiliser et à se percevoir comme une charge, ainsi que la pensée des soignants qui déjà sont en épuisement professionnel par fonte massive des ressources humaines offertes au lit du malade".
En premier lieu, François Golswasser explique que "le savoir-faire existe pour soulager la douleur", il faut donc l’utiliser. De plus, la loi Leonetti de 2005 "[autorise] le médecin à augmenter sans limite les médicaments pour soulager, quitte à racourcir la vie, mais sans perdre de vue l’objectif premier de soulager", c’est le "principe dit du ‘double effet‘ ".
Dans un second temps, "[l’indispensable] transparence […] dans les actes passe par la clarté des mots". Ici, François Golswasser revient sur la notion de "sédation qui tue", une notion qu’il considère comme "floue", c’est un "oxymore" qui "contient l’autorisation implicite de dérives non maîtrisées". Il ajoute: "la solution proposée d’autoriser de provoquer la mort à condition de ne pas dire que c’est une euthanasie, mais une ‘sédation qui accélère la fin de vie’, est une pratique régressive: c’est tout simplement revenir aux années 1990, et aux euthanasies clandestines sans la demande du patient qui furent dénoncées par le comité national d’éthique". En outre, en se référant à la définition du terme sédation, le professeur de cancérologie explique que cela vise "l’action d’endormir une personne qui l’a demandé en raison d’une souffrance restée non soulagée, l’objectif est de soulager, non pas d’accélérer la fin de vie".
Dans un troisième temps, François Goldwasser explique qu’il faut "maîtriser l’abus de pouvoir médical" avant même de "donner un pouvoir supplémentaire au médecin". Ainsi, il se dit étonné qu’ "alors que la question des droits des patients est au coeur de toutes les évolutions législatives en matière de santé", […] "aucune interrogation ne porte sur la question du pouvoir médical". Tout en dénonçant le peu d’enseignements donnés aux étudiants en médecine concernant l’éthique, les soins palliatifs ou encore la dimension psychologique, le professeur de cancérologie interpelle: "peut-on se satisfaire qu’aucun médecin ne soit jugé sur la qualité de ses soins mais uniquement au travers du nombre d’actes, de patients, de recettes, de dépenses, et des durées de séjours?". En outre, "peut-on donner à chacun d’entre eux la possibilité d’accélérer la fin de vie alors que les expériences belges et hollandaises montrent qu’il est impossible de s’apercevoir a posteriori d’un abus de pouvoir du médecin?".
Pour François Galdwasser, "légaliser l’euthanasie sans restreindre le pouvoir médical est dangereux. Légaliser le suicide assisté revient à transférer la toute-puissance du médecin qui décide tout à la toute-puissance du patient qui décide tout." Or, "dès lors qu’il y a un décideur unique et tout-puissant, le perdant est l’humanisme qui suppose qu’un être humain soit modeste, et que la décision soit le fruit d’une réflexion partagée qui fait circuler l’interrogation à plusieurs et non imposée par un seul aux autres", et pour le professeur de cancérologie, il y a un risque: "toute loi incite à l’automatisme des comportements" et "l’automatisme dans la décision de fin de vie, ce n’est pas plus d’humanité mais pencher vers la deshumanisation et la barbarie".
Une autre question est estimée importante par François Goldwasser, celle de la dignité, car parler du "droit de mourir dans la dignité" suppose comme préalable de pouvoir définir la notion de dignité, et "cela n’est jamais fait" précise-t-il: "qui peut confirmer l’absence de dignité d’une personne?". Car, ajoute-t-il, "à situation médicale égale, un patient évoquera sa perte de dignité pour demander à mourir, un autre aura envie de vivre". "Comment éviter que le regard du médecin et de la société en général puisse changer à l’égard d’une personne qui est dans la même situation qu’une personne qui demanderait de mourir, mais qui elle ne le demanderait pas?".
Ainsi, qu’est-ce que la dignité? "Une valeur à géométrie variable ou une définition de la personne humaine?".
Enfin, François Galdwasser explique qu’il faut "prêter attention au contexte dans lequel s’inscrit [la demande de mort]". A ce titre, il interroge: "que signifie cet acharnement à vouloir accélérer le décès des plus faibles avant d’avoir épuisé les ressources élémentaires de la solidarité à leur égard?". A ce titre, le professeur de cancérologie considère avant tout qu’il faut "mieux rembourser ce qui doit l’être, garantir les conditions d’accueil et d’accompagnement, et restreindre le pouvoir médical, qui souvent devient de l’abus de pouvoir, former les médecins à l’éthique et aux soins palliatifs, est une démarche préalable qui ferait honneur à notre pays." Actuellement, "le refus d’examiner ce contexte témoigne d’une démarche égoïste et individualiste, totalement indifférente aux conséquences pour les plus fragiles et en particulier les plus pauvres. Une telle loi hypervaloriserait l’individualisme aux dépens de la conscience collective, de la solidarité, bref, de ce qui fait que nous avons un avenir commun".
Slate.fr (François Galdwasser) 08/01/13