Les débats autour du projet de loi de bioéthique offrent peu de raisons de se réjouir, pourtant, il est une question sur laquelle le gouvernement semble peu enclin aux concessions, c’est celui de l’extension des indications du diagnostic préimplantatoire (DPI) à la recherche d’aneuploïdies[1]. Et pour Agnès Buzyn, ministre de la santé – elle le souligne à deux reprises – c’est « la décision éthique la plus difficile du projet de loi ».
En 1999, le législateur autorise cette pratique pour les couples en parcours d’AMP[2]. Elle donne le pouvoir à un Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) de trier les embryons d’un couple avant implantation dans l’utérus de la mère si « le couple a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic », pour éliminer ceux qui seraient porteurs de la maladie recherchée. Le DPI est effectué « si l’anomalie ou les anomalies responsables de cette maladie ont été préalablement identifiées chez l’un des parents ou l’un de ses ascendants immédiats (en cas d’anomalie gravement invalidante à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital), et ne peut avoir pour objet que de rechercher cette affection et les moyens de la prévenir ou de la traiter ». Le consentement écrit des deux membres du couple est exigé.
Les enjeux du DPI
Etendre le DPI à la recherche d’aneuploïdies signifierait qu’à l’occasion d’une fécondation in vitro, avant de transférer l’embryon dans l’utérus de la mère, on l’examinerait systématiquement pour vérifier qu’il n’est pas porteur d’une trisomie 21, par exemple, ou d’une autre maladie génétique. Dans ce cas, il serait détruit. Autrement dit, il s’agit d’un tri chromosomique, eugénique, qui repose sur l’idée que la vie d’une personne trisomique 21 ou porteuse d’une autre anomalie génétique ne vaut pas la peine d’être vécue, et qu’elle doit être d’emblée rejetée par notre société.
Par ailleurs, le DPI est utilisé dans une autre indication depuis 2004 : le DPI-HLA ou « bébé-médicament » a obtenu une dérogation à la loi, avant d’être autorisé en 2011. Ce procédé vise à sélectionner un embryon afin qu’il soigne la maladie de son aîné déjà né. Il faut qu’il soit à la fois indemne de la maladie (1ère sélection) et « compatible » (2ème sélection) avec son frère ou sa sœur pour permettre une greffe de sang de cordon ou de moelle osseuse. La technique impose donc un double tri d’embryons.
Lors de la Commission spéciale de bioéthique de l’Assemblée nationale
La première surprise tient au fait que cette question n’est quasiment pas abordée dans le projet de loi bioéthique initial, présenté à l’issue du Conseil des ministres en juillet. L’article 19 prévoit essentiellement que le ministère de la santé détermine par arrêté, sur proposition de l’ABM, les recommandations de « bonnes pratiques » concernant le DPI. L’hypothèse la plus favorable consistait à penser que le gouvernement avait renoncé à étendre le DPI aux aneuploïdies, c’est-à-dire à le systématiser, comme c’est déjà le cas pour le diagnostic prénatal. Contre toute attente, c’est bien, à ce jour, cette ligne que le gouvernement, contre les positions de certains députés de sa majorité, a défendu.
Tout a commencé en commission des affaires sociales… Alors que les députés de l’opposition se sont échinés à faire entendre raison au gouvernement sur le respect de l’embryon, ils trouvent auprès de la ministre et de certains autres députés de vibrants appuis.
Quand Philippe Berta, médecin et député LREM propose, « à titre expérimental », une extension du diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies, c’est-à-dire notamment à la trisomie 21, Agnès Buzyn, ministre de la santé, rappelle, comme elle l’a fait lors de son audition (cf. Audition des ministres sur la loi de bioéthique : un ton apaisé, des dérives éthiques majeures), la dérive eugénique que créerait une telle mesure. Elle reçoit en retour, l’argumentation violente du député qui compare certains patients trisomiques 21 à des « légumes ». A ce moment, Marc Delatte, médecin lui-même et député LREM, prend la parole, et la voix remplie d’émotion, témoigne : « J’ai été médecin de famille pendant longtemps, […] j’ai revu Lorraine, elle est atteinte de trisomie 21, elle m’a dit qu’elle était contente de me voir, et m’a dit ‘j’ai un CDI’ ». Il fait une pause avant d’ajouter : « Mais dans quelle société on vit ? Quelle dignité ? »… Le témoignage porte. L’amendement de Philippe Berta sera cependant rejeté de justesse, à 10 voix contre 8.
Le débat de poursuit dans l’hémicycle
Le 7 octobre, les députés sont en place pour examiner de projet de loi de bioéthique en séance plénière à l’Assemblée nationale. Ils débattent depuis le 25 septembre, ont déjà adopté la PMA pour toutes, discuté de la PMA post-mortem, assouplit largement le régime de recherche sur l’embryon… Les rangs sont clairsemés. Les députés commencent par examiner la question du « bébé médicament ». Jean-François Eliaou est le rapporteur du projet de loi sur ce point, et il est favorable au maintien du DPI-HLA. Il rappelle que cette pratique ne concerne que quelques enfants par an. En fait, depuis qu’il est autorisé, le procédé n’a concerné que 25 couples, seuls 9 enfants sont nés et la pratique, éprouvante tant pour les familles que pour les équipes soignantes, est arrêtée depuis 2014. D’ailleurs, le rapporteur souhaite déposer un amendement pour « lever un certain nombre de précautions et d’obstacles qui empêchent d’approcher correctement cette procédure ». La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, ne se prononce pas, elle préfère s’en remettre à la « sagesse du Parlement », considérant que ces pratiques sont trop proches de l’activité professionnelle qu’elle a exercée pendant des années.
Xavier Breton, député LR, prenant la parole, condamne le « dumping éthique » de la mesure et regrette que cette technique utilise un « embryon comme un moyen et non plus comme une fin » puisqu’il doit être « la possible guérison d’un autre enfant », ce qu’il déplore. Blandine Brocard, député LREM, lui emboite le pas, ajoutant que la pratique est « contestable d’un point de vue juridique : quel statut accordé à un enfant ainsi conçu ? Il n’est plus considéré comme sujet de droit à part entière mais comme un objet de droit puisque conçu pour soigner un autre ». Avant que le vote ne rejette l’amendement clôturant le débat, la ministre, qui veut défendre la pratique, explique qu’avec le bébé médicament, il y a 3 chances sur 16 d’avoir un embryon non atteint et compatible… Autant dire qu’il faut multiplier les tentatives. Et il arrive parfois, qu’aucun embryon ainsi obtenu ne soit compatible.
Il est assez déroutant de voir que les députés, sans véritable consigne de vote, basculent spontanément du côté de la protection de la vie à naître. On ne peut que regretter qu’il leur soit laissé habituellement si peu d’espace de liberté. L’amendement en effet, sera rejeté.
Etendre toujours plus la détection de la trisomie ?
Philippe Berta défend de nouveau longuement l’amendement qu’il a déjà déposé en commission et qui vise à autoriser de DPI pour détecter les aneuploïdies, dont les trisomies 13, 18, 21, avant implantation de l’embryon dans l’utérus de la mère. Philippe Berta est médecin, on le sens mal à l’aise et il s’échauffe. Ce diagnostic concerne moins de 300 couples par an, soit 4% des FIV. « Avec l’âge », le « risque » pour la femme de donner naissance à un enfant porteur de trisomie 21 augmente : de 23% à 30 ans, on passe à 84% à 45 ans. Une fois la trisomie détectée, il souhaite que les parents puissent « librement » choisir de l’implanter ou non. Jean-Louis Touraine, député LREM, enchaîne. Pour lui, pratiquer le DPI c’est « totalement différent de tout eugénisme ». Il considère qu’il s’agit simplement de reporter in vitro une sélection que la nature réalise in vivo, et ce dans le seul but d’obtenir de meilleurs résultats pour les FIV[3].
Seulement, comme le rapporteur l’expliquera, en tout état de cause, « aucune indication n’est validée cliniquement », autrement dit, ces assertions ne sont pas prouvées. Il cite les risques d’embryons mosaïques[4], de faux positifs[5] autant que de faux négatifs[6], ajoutant que « la situation clinique n’est pas posée ».
Plus qu’une passe d’armes
Agnès Buzyn répondra à son tour : « La question qui nous est posée, c’est, est-ce que nous souhaitons, en raison de ces parcours individuels particulièrement douloureux, autoriser cette technique ? A l’évidence, tous les médecins y sont favorables, ils sont en première ligne ». Elle-même rappelle qu’elle vient de donner un avis de sagesse concernant le DPI-HLA. Elle ajoute : « Quelle garantie avons-nous si nous passons ce cap là que nous n’irons pas au-delà ? ». Elle poursuit : « Il y a des faux positifs et des faux négatifs. C’est une forme de fausse sécurité. Surtout cela revient, pour la trisomie 21 comme pour les autres maladies, à un diagnostic prénatal préimplatatoire ». Elle s’interroge : « Comment faire pour que cette technique ne soit pas proposée à tous les couples en démarche de FIV ? On passe de 250 couples qui font le DPI chaque année à 150 000 PMA. Si on autorise cette technique pour les couples dans le cadre de recherche de maladies génétiques, mais aussi sur l’argument ‘que ça va éviter des fausses couches’, immédiatement, la demande qui est derrière, et c’est déjà celle des professionnels du secteur, c’est de dire qu’il faut faire la recherche d’aneuploïdies dans toutes les démarches de FIV et indépendamment d’une maladie génétique antérieure du couple ». Elle poursuit : « Et on aboutit quelque part progressivement au mythe de l’enfant sain » parce que « le glissement naturel est d’aller chercher d’autres maladies génétiques fréquentes ». Pourquoi, en effet, s’arrêter là ? « Combien de temps serons-nous capables de résister progressivement à un glissement vers la recherche d’aneuploïdies pour toutes les FIV et l’extension de la recherche d’anomalies ou de mutations sur d’autres maladies parce que c’est trop facile d’aller chercher d’autres anomalies sur l’ADN ? »
A ceux qui évoquent un temps d’expérimentation pour cette mesure, elle rétorque que « ça n’a pas de sens ». On attend dans ce cas un résultat « pour prendre une décision de déploiement ». Or ici, « il n’y a aucune question à poser. Nous savons faire la technique, nous savons exactement ce qu’elle donne, passer par une expérimentation permet de détourner la dérogation d’une technique interdite ». Elle conclut : « N’ayant pas la certitude que nous ne glisserons pas vers autre chose, mon avis est défavorable ».
« Nous avons compris que notre humanité s’incarne dans notre relation au plus faible »
A son tour Bénédicte Pételle, député LREM, prend la parole : « La trisomie 21 est-elle une maladie ? », et elle ajoute : « Quel parent pourrait choisir entre un enfant sans anomalie et un embryon porteur de trisomie 21 ? Est-ce un vrai choix ? » Mais aussi, « quelle part en tant que parlementaire je prends pour promouvoir la société inclusive où chacun dans sa diversité a sa place ? » Elle fait la lecture de l’email qui lui a été envoyé par les parents de Thaïs, petite fille porteuse de trisomie 21 : « Je ne vais pas vous raconter d’histoire en vous disant que c’est facile. Non. C’est parfois difficile (…). Nous avons compris que notre humanité s’incarne dans notre relation au plus faible. C’est dans cette relation que nous exprimons pleinement le meilleur de qui nous sommes, ce qui fait de nous des hommes. En voulant supprimer toute forme de fragilité et de faiblesse, on sacrifie ce que nous avons de plus beau. Cette humanité ». Un tel débat est suffisamment rare dans l’hémicycle pour qu’il soit souligné. Une fois encore l’amendement est rejeté.
La trisomie traquée
Pourtant, rien n’est encore gagné. A l’occasion du vote solennel de la loi de bioéthique quelques jours plus tard, le 15 octobre, Philippe Vigier, président du groupe Libertés et Territoires, s’emballe à la tribune de l’Assemblée nationale : « Il faut traquer, oui je dis “traquer”, les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques ». Par ces mots, le député d’Eure-et-Loire, déplorait l’abandon du projet d’extension du diagnostic préimplantatoire lors de l’examen du texte.
Il suscitera a posteriori de très nombreuses réactions, parmi lesquelles celle de Philippe de Lachapelle[7], directeur de l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH), qui fustige des propos « malheureusement très révélateurs de l’eugénisme à l’œuvre dans notre société ». Il poursuit : « La logique du diagnostic préimplantatoire répond à l’exigence que l’enfant livré soit un enfant en bonne santé. Oui, je dis « livré », parce que c’est un peu de l’ordre de la commande. Ce n’est pas une logique d’Etat. C’est dans notre culture ». Et plus loin, il ajoute : « Cette idée de ‘traque’ est révélatrice de ce choix. On est sur une ligne de crête : est-ce qu’on élimine ou est-ce que l’on rencontre ? »
Le projet de loi doit maintenant faire l’objet des débats au Sénat. Espérons que les sages sauront maintenir le cap.
[1] On parle d’aneuploïdie lorsqu’une cellule ne possède pas un nombre normal de chromosomes, et ce en conséquence d’une mutation. Cette anomalie peut concerner une absence ou au contraire une surabondance de chromosomes.
[2] Assistance médicale à la procréation.
[3] Les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques s’implanteraient moins bien ou de façon moins pérenne, provoquant des fausses couches et diminuant le taux de succès des FIV (cf. Le Pr René Frydman auditionné sur la PMA : l’enjeu majeur est la recherche sur l’embryon ).
[4] Les embryons de mosaïque ont des cellules normales et anormales.
[5] Embryons diagnostiqués à tort comme étant porteurs d’anomalies chromosomiques.
[6] Embryons diagnostiqués à tort comme n’étant pas porteurs d’anomalies chromosomiques.