Entretien avec Jean-Marie Le Méné : ”la société doit protéger le plus faible”

Publié le 13 Avr, 2010

Dans Le Pèlerin et sur Canalacademie.com, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, est interrogé sur la prochaine révision de la loi de bioéthique. Il explique son désaccord avec certaines préconisations du rapport parlementaire remis au gouvernement par Jean Leonetti fin janvier 2010, notamment les modifications ayant trait aux recherches sur les embryons humains, et la proposition d’un dépistage systématique de la trisomie 21 lors d’un diagnostic préimplantatoire (DPI). Il rappelle que jusqu’à présent, la recherche sur l’embryon est interdite, mais accompagnée de deux conditions dérogatoires : cette recherche doit viser des progrès thérapeutiques majeurs et ne peut être poursuivie que s’il n’y a "pas d’autre voie possible pour y parvenir". Or en proposant la suppression de ces conditions limitant la recherche sur les embryons humains, le rapport marque "une rupture grave".  Fondamentalement, c’est le principe du "respect de l’être humain depuis le début de sa vie" qui est en jeu. En effet, "le prélèvement de cellules embryonnaires implique la destruction de l’embryon. Or, l’embryon humain est un membre de l’espèce humaine. Et cela n’est pas une conviction personnelle, mais une observation partagée par de nombreux scientifiques". Jean-Marie Le Méné refuse également ces recherches "au nom de l’efficacité" : les nombreux progrès réalisés depuis 2004 montrent qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des cellules d’embryons humains. 

L’élargissement du DPI au dépistage systématique de la trisomie 21 est inacceptable pour Jean-Marie Le Méné qui fait deux reproches à cette proposition. Dans la loi actuelle, le choix de pratiquer un DPI s’entend dans le cadre du dépistage de maladies graves héréditaires : "un parent est porteur, un frère ou une soeur a, par exemple, la myopathie. On fait donc le choix d’un DPI pour avoir un enfant non touché". Or, l’ajout d’une "indication comme la trisomie 21 est étonnant, car cette dernière n’est pas héréditaire". En deuxième lieu, "effectuer systématiquement le diagnostic de la trisomie 21 à ce niveau de la conception, c’est préjuger que la femme ne voudra pas d’un enfant trisomique. Dans ce cas, pourquoi ne s’en tenir qu’au diagnostic de cette maladie-là ? Il en existe bien d’autres".

Jean-Marie Le Méné revient sur les raisons de son engagement à la Fondation Jérôme Lejeune, ayant eu la chance de côtoyer le Pr. Lejeune, et témoin de la façon dont ce dernier accompagnait ses jeunes patients trisomiques à une époque où, une fois le diagnostic posé, ceux-ci "restaient livrés à eux-mêmes". C’est en constatant le vide laissé après la mort du Pr. Jérôme Lejeune, en 1994, qu’il a voulu, avec d’autres, créer la fondation en 1996, afin de poursuivre son action : "nous donnons une réponse sur les plans médical, scientifique et éthique parce que nous considérons que le plus faible doit être protégé". Aujourd’hui, les médecins de la Fondation Jérôme Lejeune reçoivent près de 5000 patients et effectuent entre 3000 et 4000 consultations par an. Ce suivi permet d’anticiper certaines difficultés de santé : "Par exemple, les enfants trisomiques ont un risque de leucémie plus important. Aujourd’hui, nous savons les diagnostiquer très rapidement et nous pouvons les guérir". Jean-Marie Le Méné explique également où en est la recherche thérapeutique pour la trisomie 21. La Fondation Jérôme Lejeune finance le programme CiBleS21 qui cherche à agir sur "une substance soupçonnée de jouer un rôle dans la déficience mentale". Elle finance aussi une partie des travaux du Pr. Jean Delabar qui ont mis en lumière "le rôle positif du thé vert pour les troubles neurologiques". Une étude réalisée auprès de jeunes patients trisomiques suivis par la Fondation "montre un effet positif du traitement par l’acide folinique, un dérivé de la vitamine B9, sur le développement psychomoteur de certains patients". Toutes ces recherches montrent "qu’on peut faire bouger les choses en matière de traitement. Il y a quinze ans, dès qu’on parlait de trisomie, les gens baissaient le rideau. Depuis quelques années, le monde scientifique est prêt à reconnaître la possibilité d’une perspective thérapeutique".

Alors que 96% des enfants trisomiques dépistés sont avortés, Jean-Marie Le Méné dénonce "la politique de dépistage massif" de l’Etat qui organise un tri eugénique des enfants à naître. Il n’y a pas d’eugénisme de la part des parents explique-t-il mais une "planification étatique d’éradication de la trisomie 21", comme le montre le rapport rendu par la Haute autorité de santé en 2007 qui "contient un nombre incalculable de dispositions qui s’appellent ‘stratégies’ pour le dépistage de la trisomie 21 avec des statistiques, des contrôles de la performance, des objectifs, des mesures de l’efficacité, etc." Il est "insultant" de prétendre, comme le font les experts, que ce sont les familles qui veulent tout cela : "on amène toute une population à adopter ce point de vue alors que ce n’est pas spontanément celui des gens". Interrogé sur l’audibilité du discours de l’Eglise au sujet de ces questions de bioéthique, Jean-Marie Le Méné affirme que celle-ci "a su adapter son discours à l’évolution des techniques et des moeurs". Il rappelle l’enseignement de Jean-Paul II dans son encyclique Humanae vitae et dans L’Evangile de la vie en 1995, où le Pape exprimait sa conviction que "le progrès technique était positif en lui-même, mais pas l’usage que certains en faisaient". Il cite également les contributions de Mgr d’Ornellas en 1999 lors des états généraux de la bioéthique, et souligne que "l’Eglise est à peu près la seule institution qui demeure cohérente dans sa philosophie et son éthique sur ces questions".

Même si la France est moins libérale que d’autres en matière de bioéthique, Jean-Marie Le Méné cite l’Allemagne et l’Italie dont les législations, qui interdisent le stockage et le tri d’embryons congelés, sont plus respectueuses de la dignité humaine. Il souligne l’exemple de l’Italie qui montre "qu’on peut toujours revenir sur une loi" contrairement à ce que prétend la France. Dans ces questions, "il s’agit de techniques et si on s’aperçoit qu’une technique est mauvaise ou source de déshumanisation, il faut pouvoir revenir dessus".

Pèlerin Magazine (propos recueillis par Anne-Claire Ordas) 08/04/10 – Canalacademie.com (Elodie Courtejoie) 11/04/10

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