Enquête sur les nouvelles techniques de procréation

Publié le 15 Mar, 2010

L’hebdomadaire Le Point a publié une enquête intitulée "Le grand bazar de la procréation". Depuis  trente ans que la science sait procéder à l’acte de fécondation "en éprouvette, hors du corps humain", la procréation a connu de véritables bouleversements. La science procréative permet des situations inédites : en 2008 à Paris, une femme ménopausée met au monde des triplés "dont elle a l’âge d’être la grand-mère : 59 ans. Les trois enfants ont été conçus par don d’ovocytes au Vietnam". Charlie, un petit garçon britannique né en 2005 a été conçu par trois soeurs. Fils légal d’Alex et de son mari Shaun, Charlie "a été fécondé en éprouvette avec le sperme de Shaun et l’ovocyte de la soeur jumelle d’Alex, puis a été porté et mis au monde par Helen, soeur aînée des jumelles". En 2007, Rachel Cohen obtient après une longue lutte juridique "qu’un enfant soit conçu avec le sperme de son fils décédé", Keivan, tué par un sniper cinq ans auparavant. Elle choisit elle-même la future mère. Son fils "aura donc à son insu une descendance avec une femme qu’il n’a, au sens littéral comme au sens biblique, jamais connue". Bien qu’extrêmes, ces cas "disent bien quels défis vertigineux doit affronter l’homme du troisième millénaire, contraint par ces nouvelles techniques à redéfinir radicalement son propre devenir, son rapport au temps et à ce qui fait la famille".

En 1978, l’émotion et l’angoisse très fortes qu’avait suscité la naissance de Louise Brown, le "premier bébé conçu en laboratoire" n’étaient pas sans raison. Si la pratique n’émeut aujourd’hui plus grand monde avec des millions d’enfants "conçus de la sorte dans le monde, dont vingt mille chaque année en France", on avait toutefois "sans doute raison à l’époque, de voir cette première FIV – fécondation in vitro – comme le franchissement d’un cap anthropologique majeur". La FIV a instauré deux changements radicaux : avec la congélation de l’embryon, l’engendrement peut maintenant avoir lieu "des années après la fécondation, d’où un bouleversement éventuel de l’ordre générationnel". Elle permet en outre de "faire naître des enfants des années après la mort du père" voire même "après celle de la mère génétique". L’autre révolution est qu’un enfant "ainsi conçu peut désormais avoir trois mères potentielles – la mère légale, la mère génétique et la mère porteuse. La maternité, que le droit romain dit toujours certaine – mater semper certa est -, est donc entièrement à redéfinir".

Contraintes d’encadrer ces techniques pouvant "renverser l’ordre des générations et des parentés", les grandes démocraties ont décidé sur ces questions des "législations diamétralement opposées, interdisant ici, au nom de mêmes principes […] ce que là-bas le voisin encourage" : l’Italie interdit le don de gamètes alors que l’Espagne rémunère les donneuses d’ovocytes. L’anonymat des donneurs est requis par la France, l’Allemagne l’interdit dans sa Constitution. La gestation pour autrui est autorisée en Hongrie si la gestatrice est de la même famille que la mère génétique, elle est interdite en France, etc. Les nouveaux défis soulevés par les techniques médicales de procréation font difficilement consensus dans nos "sociétés de libre pensée, où de multiples éthiques coexistent". En France, la loi réputée "l’une des plus contraignantes d’Europe", est contestée par des associations militantes qui souhaiteraient qu’elle s’aligne sur les positions des pays européens les plus libéraux. Avec Internet et la mondialisation, le "tourisme procréatif" se développe, "créant parfois d’insondables problèmes d’état civil au retour en France".

Jean Leonetti revendique pourtant "une voie ‘à la française’ " en matière d’éthique : "Nous ne devons pas céder au dumping éthique. Les mères porteuses sont autorisées chez nos voisins ? Et alors ? si l’on doit obligatoirement s’aligner sur ce que font les autres pays, à quoi servent les lois ? Jusqu’à quand allons-nous manipuler le biologique pour répondre à nos désirs ? Il est étrange de constater que nous appliquons le principe de précaution à l’environnement, et bien peu à l’humain". Les discours militants "qui réclament que l’on aille toujours plus loin pour répondre au désir de descendance" n’évoquent en effet jamais l’intérêt de l’enfant à venir, et les responsables de banques de gamètes se trouvent aujourd’hui face à des difficultés avec la première génération d’enfants, maintenant trentenaire, venant "réclamer un nom, une photo, […] de quoi donner un statut, dans leur histoire personnelle, à ces géniteurs inconnus".

Le dossier du Point sur la procréation se termine enfin sur les dangers de dérive eugéniste. Au service du désir d’enfant, la science peut mener à une marchandisation détestable. Un tournant eugéniste est déjà à l’oeuvre : "le choix du donneur de sperme ou d’ovocyte, sur catalogue, photo ou diplôme, déjà possible dans de nombreux pays, est la première étape. Celle du choix du sexe de l’embryon à naître […] en est une autre. Quant au diagnostic préimplantatoire, que la France a déjà autorisé et s’apprête à élargir à la trisomie 21, qu’est-ce d’autre, que l’on s’en inquiète ou que l’on s’en félicite au nom de la souffrance qui sera évitée aux familles, qu’une technique eugéniste ?" Si la science est "en train de produire, en éprouvette, des enfants de qualité supérieure à ceux que l’on conçoit dans un lit… On peut s’alarmer de ces bouleversements".

Le Point (Violaine de Montclos) 11/03/10

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