En Inde, l’avortement sélectif des petites filles menace de plus en plus l’équilibre du pays

Publié le 7 Juin, 2021

Plusieurs dizaines de millions de filles n’ont pas vu le jour en Inde. Et d’après une récente étude publiée dans The Lancet Global Health[1], le problème ne fait que s’aggraver. Selon cette étude, au cours des dix dernières années le nombre de « filles manquantes » en Inde a augmenté de 60 % par rapport aux décennies précédentes.

La préférence pour les garçons est fortement ancrée dans la culture indienne. Elle s’est longtemps traduite par l’infanticide néonatal féminin. Si celui-ci disparaît doucement, il tend malheureusement à être remplacé par une banalisation de l’avortement des filles. En 1994, pourtant, la loi sur les techniques de diagnostic préconceptionnel et prénatal (PNDT Act) a formellement interdit la sélection du sexe. Mais force est de constater que cette loi n’a eu que peu d’impact. La médicalisation croissante de la grossesse, et le recours systématique aux échographies ont immédiatement été détournés pour faciliter la sélection garçon-fille trop ancrée dans les mœurs indiennes.

Des naissances manquantes de filles par millions

L’étude publiée dans The Lancet se penche sur la proportion homme-femme en Inde, qui ne cesse d’augmenter depuis 1987. Le ratio naturel se situe aux alentours de 950 filles pour 1000 garçons. En trois décennies (entre 1987 et 2016), les chercheurs ont constaté qu’il manquait 13,5 millions de naissances de filles : 3,5 millions entre 1987 et 1996, 4,5 millions  entre 1997 et 2006 et 5,5 millions entre 2007 et 2016, une augmentation de 60 %.

Plusieurs facteurs influencent ces fœticides féminins, analysent les chercheurs. Tout d’abord, plus les familles sont riches et instruites, plus elles ont accès à des tests prénataux de plus en plus précis, et recours à l’avortement sélectif. Ensuite, certaines régions, comme le Pendjab, l’Haryana, le Gujarat et le Rajasthan affichent des sex-ratios particulièrement déséquilibrés, la pression sur les familles y étant plus forte. Enfin, et c’est sans doute le facteur le plus déterminant, la place dans la fratrie et le sexe des premiers enfants joue un rôle capital : en 2016, parmi les enfants nés en deuxième position après une fille, le sex-ratio n’était que de 885 pour 1000 (930 en 1981), et parmi ceux nés en troisième position après deux filles, il était de 788 pour 1000 (968 en 1981).

Les filles et les garçons ont la même valeur

Que faire, si les lois, peu appliquées, ne suffisent pas à endiguer le problème ? En 2019 l’Assemblée Générales des Nations Unies a condamné la sélection prénatale en fonction du sexe comme « néfaste », la jugeant directement liée à l’augmentation du trafic humain et de la violence envers les femmes. « En Inde et dans le monde entier, d’innombrables filles continuent d’être victimes de violences et de discriminations fatales avant même d’avoir la chance de naître, explique Giorgio Mazzoli, juriste de l’ONU pour ADF International (Alliance Defending Freedom). Quiconque croit que les femmes et les filles ont la même valeur et le même intérêt que les hommes et les garçons ne peut fermer les yeux sur ce qui se passe aujourd’hui ». Cette organisation a lancé une grande campagne de sensibilisation en Inde, intitulée « Vanishing girls ». L’objectif est de former des avocats locaux, de plaider pour la mise en œuvre de protections juridiques, d’influencer les perceptions culturelles, et enfin d’offrir un soutien aux femmes qui résistent à la pression d’avorter d’une fille. ADF a également appelé les Nations Unies à reconnaître officiellement la sélection prénatale parmi les actes de féminicides.

De la planification à l’eugénisme ?

L’avortement sélectif des filles choque le monde occidental, la planification familiale, elle, n’est nullement remise en cause. Mais est-ce que le contrôle des naissances ne glisserait-il pas immanquablement vers l’eugénisme ? La planification à tout prix de la naissance d’un enfant désiré passe progressivement à la recherche calculée d’un enfant parfaitement conforme au désir de ses parents. Cela provoque une intrusion croissante de la médecine dans la réalisation du « projet parental ». Et c’est le diagnostic prénatal, qui ne sert pas à soigner mais à identifier les fœtus non conformes au projet parental, qui vient définir quelle vie future vaut la peine d’être vécue. Pas de maladies génétiques pour certains, pas de filles pour d’autres… La dérive eugénique semble bien là.

 

[1] The Lancet, 8 avril 2021 : Trends in missing females at birth in India from 1981 to 2016: analyses of 2·1 million birth histories in nationally representative surveys

Cet article de la rédaction Gènéthique a été initialement publié sur Aleteia sous le titre : Inde : l’avortement sélectif des petites filles menace l’équilibre du pays

 

Cet article de la rédaction Gènéthique a été initialement publié sur Aleteia sous le titre :

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