Du carnet de santé numérique à la recherche en santé : que deviendront nos données ?

Publié le 7 Nov, 2018

Mardi, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a lancé la généralisation du carnet de Santé numérique dont elle souhaite qu’il devienne demain « une évidence pour tous les français comme l’est devenu la carte vitale ». Le dispositif est testé depuis 2016 dans neuf départements.

 

Des données personnalisées centralisées sur la santé du patient

 

« Non obligatoire, “gratuit, confidentiel et sécurisé” », l’assurance maladie explique que le Dossier Médical Partagé (DMP) « “conserve précieusement” les informations de santé du patient, libre de les partager avec son médecin traitant, son kinésithérapeute, son infirmière »[1]. Il peut centraliser les « soins des 24 derniers mois, antécédents médicaux (pathologie, allergies…), résultats d’examens (radios, analyses biologiques…), comptes rendus d’hospitalisation ou encore coordonnées des proches à prévenir en cas d”urgence ». Il est prévu qu’il soit « automatiquement alimenté par l’Assurance maladie » pour être « immédiatement utile » aux soignants qui seront à leur tour « incités à l’alimenter ».

 

Les patients peuvent eux-mêmes ouvrir leur dossier en ligne sur dmp.fr ou bien auprès des caisses d’assurance maladie et les pharmaciens seront rémunérés d’un euros par « dossier créé ». Les infirmiers libéraux, « souvent au contact de patients peu mobiles » pourront eux aussi être intéressés financièrement… Le projet aurait déjà couté 210 millions d’euros selon la Cour des comptes pour un budget annuel de fonctionnement estimé à 15 millions d’euros.

 

Si seul le médecin traitant « peut accéder à l’ensemble des informations », le patient peut bloquer des informations le concernant, ajouter des documents ou supprimer des données de son DMP pour ne laisser à la consultation des professionnels de santé qu’il rencontre que ce qu’il souhaite. Bref, c’est un carnet de santé maitrisé et c’est bien vu, mais comme le carnet est alimenté en continu par l’assurance maladie, il va falloir en vérifier le contenu avant d’aller voir un dentiste si vous ne voulez pas qu’il ait connaissance de votre dernière consultation chez le psychiatre… Si vos consultations sont régulières ou variées, vous n’aurez pas intérêt à le laisser sans vigilance… Enfin, il est prévu que les données soient conservées 10 ans dans des « conditions de grande sécurité ».

 

Du dossier médical partagé au Health Data Hub

 

Dans le même temps, le ministère de la santé a annoncé le lancement d’un Health Data Hub pour début janvier 2019. Olivier Clatz, cofondateur de la société Therapixel à l’origine d’un algorithme dépistant les cancers du sein lors de mammographies, considère que c’est une « bonne idée » parce que le dispositif doit permettre aux  chercheurs de travailler « plus efficacement », et sur des données « ultrasécurisées »[2]. Il se trouve que pour être efficace, ce type de dispositif a besoin d’une énorme quantité de données. Simple coïncidences ? Opportunité ? Le carnet de santé numérique serait-il destiné à enrichir les bases de données de l’Health Data Hub ? Les utilisateurs en seront-ils informés ?

 

La question n’est pas sans intérêt. Ce matin, Jean-Gabriel Ganascia, professeur à l’université Pierre et Marie Curie, chercheur en intelligence artificielle, président du comité d’éthique du CNRS, auditionné par la Mission parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique de l’Assemblée nationale, soulevait la question de la « rupture de lien entre les données et le patient » et il soulignait que l’anonymisation absolue des données était impossible, qu’il y avait toujours moyen de retrouver une personne par recoupements. D’une faille technique, on se dirige pas à pas vers la faille éthique… une fois encore quelle information recevront les titulaires de ce carnet ? Que dira la loi de bioéthique révisée sur ces questions ?

 

Enfin, dès avril 2019, le DMP pourra contenir les directives anticipées des patients. Nul doute : à la vie, à la mort, nous n’échapperons plus à nos données ! Gare à celui qui change d’avis !

 



[1] AFP, Aurélie Carabin – le gouvernement prmeut le carnet de santé numérique, « indispensable » à tous.

 

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