Diagnostic prénatal et risque eugéniste

Publié le 18 Mar, 2009

La Croix consacre aujourd’hui son ABC de la bioéthique au diagnostic prénatal (DPN) qui, s’il est susceptible d’améliorer la prise en charge médicale précoce de certains enfants, "a aussi alimenté le mythe de "l’enfant parfait" et débouché sur de nombreuses interruptions de grossesses", posant la question de la sélection de l’enfant à naître.

Concrètement le DPN recouvre plusieurs pratiques : toutes les femmes enceintes se voient proposer trois échographies ainsi qu’un test sanguin de dépistage de la trisomie 21 ; celles dont les grossesses sont dites "à risques", c’est-à-dire celles dont les premiers résultats indiquent un risque de trisomie ou de malformation, celles âgées de plus de 38 ans et celles issues d’une famille porteuse d’une maladie génétique ou chromosomique, peuvent ensuite faire une amniocentèse (prélèvement de liquide amniotique).
Cette dernière technique, qui entraîne une fausse-couche dans 1% des cas, pourrait bientôt être remplacée par l’analyse de l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel. Pratiquée dès le premier trimestre, cette simple prise de sang élargirait "encore davantage et très précocement le champ du diagnostic prénatal".
Par ailleurs, la liste des pathologies diagnostiquées n’a de cesse de s’allonger  de la trisomie à la mucoviscidose, en passant par le syndrome de l’X-fragile, l’hémophilie, la maladie de Huntington et même, depuis peu, "certaines formes héréditaires de cancers susceptibles de déboucher sur des décès précoces (la polypose adénomateuse ou le rétinoblastome)".

Selon les chiffres de l’Agence de la biomédecine, en 2006, 655 732 tests de dépistage de la trisomie ont été effectués, ce qui représente plus de 80% des femmes enceintes et, en cas de trisomie avérée, 84% se sont soldés par une IMG. Sur les 7 311 pathologies graves détectées sur une année au sein des centres de diagnostic prénatal, 6 787 ont donné lieu à une IMG. Dans 122 cas, les médecins ont refusé l’IMG et 402 familles ont choisi de ne pas avorter.

48 centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) reçoivent les couples dont l’enfant semble présenter un handicap ou une malformation. L’IMG peut être pratiquée jusqu’au neuvième mois de la grossesse. La loi précise simplement que deux médecins doivent attester de l’existence d’"une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic". Toutefois, si les médecins refusent de pratiquer l’IMG demandée, le couple peut se tourner vers un autre CPDPN.

Actuellement, il revient donc aux médecins seuls de juger de la gravité de chaque situation, le législateur n’ayant pas dressé de liste des maladies susceptibles de donner lieu à une IMG. Le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine s’est déclaré favorable à ce que soient définies "des bases communes de décision d’une équipe médicale à une autre". L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) souhaite lui que soit établie, à titre indicatif, "une liste des maladies d’une particulière gravité" afin "de guider les centres de diagnostic dans leurs décisions".

La Croix publie le témoignage du Dr Séjean Séjean, gynécologue obstétricien à Reims et président honoraire du Centre catholique des médecins français (CCMF), qui fait état de sa "très délicate responsabilité (…) de délivrer – ou non -une autorisation d’interruption médicale de grossesse".

Le quotidien s’interroge ensuite sur la tolérance au handicap alors que le recours au DPN ne cesse de se banaliser. Echographiste à la maternité Port-Royal (Paris), Gilles Grangé estime que "ces avancées ["amélioration de la prise en charge chirurgicale de l’enfant, notamment sur le plan cardiaque, urinaire ou digestif"] ne permettent toutefois pas d’éluder la délicate question de la finalité du diagnostic prénatal : s’engage-t-on dans une batterie d’examens pour interrompre la grossesse en cas de malformation, pour tenter de soigner l’enfant ou pour se préparer à l’accueillir tel qu’il est ?". La question est d’importance quand on sait que 95% des pathologies graves constatées débouchent sur une IMG…
Généticienne à l’hôpital de la Timone à Marseille, Perrine Malzac explique ce phénomène par le fait que "l’imagerie médicale se perfectionne très rapidement, alors que la mise en place d’un traitement nécessite, elle, des années d’expérimentation". "Le DPN risque, à terme, de ne plus seulement concerner les maladies les plus graves, mais aussi les petites variations, voire tout simplement les différences détectées chez tel ou tel embryon. N’y a-t-il pas là un risque de dérive eugénique ?", s’inquiète-t-elle.
Gynécologue à Nanterre, Benoît de Sarcus souligne le fait que la plupart des femmes enceintes "doivent se décider rapidement, sans forcément prendre le temps de la réflexion".
Du côté des représentants religieux, les juifs admettent le DPN mais proscrivent celui de la trisomie parce qu’il "ne sert pas un intérêt thérapeutique". L’islam établit la même distinction. Archevêque de Rennes, Mgr Pierre d’Ornellas dénonce "la pratique du dépistage en vue de déceler des anomalies chromosomiques" parce qu’"elle place les parents devant la réalité d’un handicap auquel il ne peut être remédié à court terme". Tout en mettant en garde contre "le choix d’un enfant conforme aux fantasmes des parents", la commission éthique de la Fédération protestante considère le DPN comme "justifié pour que les couples puissent obtenir un avortement thérapeutique s’ils le décident".
En 2006, Didier Sicard, alors président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) constatait que "de tous les pays européens, le nôtre est celui qui s’est montré le moins capable d’accepter le handicap, traitant cette réalité de façon compassionnelle, sans rien proposer de concret. Notre société ne supporte pas le handicap. A partir de là, on peut comprendre qu’une partie des couples se dise : je n’ai pas envie d’exposer mon enfant à cela, de faire naître un enfant handicapé dans ce contexte".

La Croix revient enfin sur les 170 millions de femmes manquantes en Asie. En effet, dans les pays, comme l’Inde, qui valorisent la naissance de garçons, le DPN est fréquemment utilisé pour éliminer les fœtus féminins. Officiellement interdits en Inde, les avortements sélectifs sont toutefois proposés par de nombreuses cliniques privées qui, moyennant 5 à 10 000 roupies (100 à 200 €), proposent des "forfaits échographie + avortement". Certaines cliniques indiennes de traitement de la fertilité pratiquent aussi cette sélection prénatale via le diagnostic préimplantatoire (DPI). On estime ainsi que, chaque année,  ce sont 500 000 indiennes qui sont éliminées avant leur naissance. Dès 1990, le prix Nobel Amartya Sen avertissait que l’Asie comptait 100 millions de femmes de moins que d’hommes…

La Croix (Marie Boëton, Anne-Bénédicte Hoffner, Martine de Sauto, Nathalie Lacube) 18/03/09

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