La responsabilité : 3 conditions
Dans une récente déclaration, le Professeur Nisand (qui paradoxalement propose l’allongement du délai légal de l’IVG de 10 à 12 semaines) a attiré l’attention sur les risques de mauvais usage du diagnostic prénatal et sur les responsabilités encourues par le médecin. On peut se demander en effet si la jurisprudence actuelle répond suffisamment aux graves questions qui se posent en ce domaine.
1 ère condition : la faute
La première condition de la responsabilité, c’est la faute : par exemple, avoir omis de prescrire un test sérologique de rubéole, avoir mal analysé les résultats d’un examen en considérant qu’il n’existait pas de risque de trisomie 21, n’avoir pas informé la mère de la marge d’erreur qui subsiste dans les résultats d’un test ou d’une amniocentèse. La faute sera recherchée en fonction des devoirs incombant au médecin, de l’intention exprimée par les parents de recourir à une interruption de grossesse en cas de révélation d’une malformation, de la qualité des examens. Le médecin est d’autant plus exposé à voir sa responsabilité recherchée qu’il existe une véritable incitation à pratiquer un diagnostic prénatal remboursé par la sécurité sociale (en matière de recherche de trisomie 21 par exemple) et que la société s’est engagée dans la voie de proposer, sinon d’imposer, une « norme eugénique ».
2 nd condition : le préjudice
La deuxième condition de la responsabilité est le préjudice. Il est évident : le handicap, la malformation constituent toujours un préjudice pour l’enfant et pour ses parents.
3 ème condition : faute et préjudice
Mais encore faut-il qu’il y ait un lien entre la faute et le préjudice : c’est sur cette troisième condition de la responsabilité que porte le débat. Les médecins (et leurs compagnies d’assurances) ont tendance à considérer que, même s’ils ont commis une faute, l’infirmité n’est pas leur fait : « un enfant naît comme il naît. Ce n’est pas l’ échographie qui a créé la trisomie ou la main manquante du fœtus. » (Pr Nisand).
Mais ils omettent ainsi une donnée essentielle de la discussion, à savoir l’élément légal. Car c’est la loi (a.L162.12 du code de la santé publique) qui autorise expressément l’interruption thérapeutique de grossesse lorsqu’ «il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Or la faute du médecin est de nature à priver la mère de la « chance » de « bénéficier » de cette possibilité d’interrompre sa grossesse.
Un préjudice : pour qui ?
Mais qui peut s’en plaindre : les parents uniquement, ou l’enfant également ?
Pour les parents, le Conseil d’Etat (14 février 1997) et la Cour de cassation (26 mars 1996) sont d’accord pour considérer que la faute du médecin est la cause directe de leur préjudice puisque sans la faute l’enfant ne serait pas né et qu’ils n’auraient pas eu à subir les conséquences du handicap.
Mais ces juridictions suprêmes paraissent être d’avis opposés sur le préjudice subi par l’enfant. Selon le Conseil d’Etat, son préjudice (en cas de trisomie 21) est inhérent, non à la faute du médecin, mais à son propre patrimoine génétique et ne lui ouvre donc pas droit à réparation. Au contraire, pour la Cour de cassation, le préjudice de l’enfant ne peut être envisagé sans tenir compte de l’intention des parents et de la faute du médecin.
Le droit à une réparation ?
En réalité aucune réflexion sur ce problème de responsabilité ne peut être menée sans que soient préalablement posées les questions suivantes : ces enfants et leurs parents ont-ils un droit à une réparation particulière du seul fait que l’interruption thérapeutique de grossesse est autorisée par la loi et qu’elle n’a pu être effectuée par la faute d’un médecin ? Ou ne doit-on pas plutôt leur appliquer simplement le régime général d’assistance et de protection des handicapés ?
L’alternative ne doit pas être : l’avortement ou la responsabilité. Il s’agit avant tout d’accroître la recherche en vue de prévenir et de guérir ces affections d’une part et d’autre part d’améliorer l’accueil et la prise en charge par la société des personnes handicapées