« Un bébé, yeux clos, le jour de sa naissance. » Instagram « héberge un gigantesque cimetière de nouveau-nés décédés ». Autant de photographies qui témoignent de deuils comme celui de Marie-Eve et de son conjoint Mathias qui ont appris que leur petite fille n’avait pas survécu après la césarienne. Avec le mot-dièse #stillborn[1], la plate-forme renvoie à 160 000 publications.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit le deuil périnatal « lorsque la mort de l’enfant intervient après vingt-huit semaines d’aménorrhée (ou à partir de 500 grammes) et jusqu’à sept jours après l’accouchement ». D’après les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 6 722 bébés sont nés sans vie en France en 2018. Les causes sont multiples, « interruption médicale de grossesse, réduction embryonnaire, mort fœtale in utero… », « mais aboutissent au même vide ».
« La société a du mal à reconnaître ce type de deuil »
Pour Julie, « à l’origine du compte Instagram “A nos étoiles“, entièrement consacré à la question du deuil périnatal », si les femmes ont besoin de montrer des photos de leur bébé décédé, c’est parce que « les parents sont isolés, réduits au silence ». Julie a elle-même affronté la perte de trois nourrissons. Elle témoigne avoir dû faire face aux réactions « maladroites », celles du personnel médicale en tête. « Ce n’était pas un vrai accouchement, vous allez oublier tout ça » lui avait dit la sage-femme après la naissance de sa fille mort-née, alors qu’elle avait « encore les pieds dans les étriers ».
« C’était pas un vrai bébé. » « Tu es jeune, tu en feras d’autres ! » Des phrases que Marie-Eve a entendues dans la bouche de ses proches. Lucie Roger, psychologue clinicienne spécialisée en périnatalité, explique : « C’est insurmontable pour l’entourage, qui en niant, se protège lui-même d’une réalité indicible ». Pour la praticienne, « la société a du mal à reconnaître ce type de deuil ». Alors « poster une photo de son bébé mort sur Instagram (…) empêche la négation de l’enfant ». Comme en témoigne cette mère qui a accompagné la photo de son bébé de la mention « Stillborn, but still born » (« mort-né, mais né quand même »).
La pratique s’explique également « quand le réel ne répond plus à ce besoin essentiel du deuil ». Aujourd’hui en France, « deux options sont proposées : les parents peuvent s’occuper de l’inhumation, ou en laisser la charge à l’hôpital, sans coût pour la famille ». Mais « Quand certains cimetières ont un bel endroit dédié, où l’on peut se recueillir, d’autres n’ont qu’un bout de terrain, pas accueillant », déplore Julie.
Source : Le Monde, Jane Roussel (07/01/2021)
[1] Mort-né en anglais