Dérives liées à la multiplication des tests prénatals sur internet

Publié le 26 Sep, 2011

La Croix publie un dossier sur les risques liés au diagnostic prénatal (DPN). Aujourd’hui, des sociétés américaines proposent, en vente libre sur internet, des tests prénatals qui échappent à tout contrôle.

Dans certains pays comme l’Inde, l’apparition de ces tests est de plus en plus problématique. Ils permettent de contourner la loi interdisant les avortements sélectifs. Beaucoup de futurs parents, apprenant que l’enfant est une fille, choisissent d’avorter (Cf. Synthèse de presse du 16/03/11).

Bien qu’il soit "interdit de déterminer si un enfant à naitre est un garçon ou une fille", comme le rappelle un panneau à l’entrée d’un centre de radiologie à Delhi, les médecins sont nombreux à accepter une compensation financière en échange de la révélation du sexe de l’enfant lors de la première échographie. Le délai légal d’interruption volontaire de grossesse n’étant pas dépassé, les parents choisissent alors l’avortement sans avoir à donner de justification.

Pour contrer ce phénomène, le gouvernement indien avait instauré, dès 1994, la loi sur les techniques de DPN (le PNDT act), avant d’interdire en 1996 l’usage de l’échographie et de l’amniocentèse pour déterminer le sexe du bébé. En 2003, la loi a été modifiée dans une version plus stricte. Mais le marché noir de l’échographie fœtale prospère et est estimé à 100 millions de dollars par an. Le médecin pris en faute n’encoure que l’équivalent de 150 euros d’amende, une somme égale à celle qu’il reçoit s’il divulgue le sexe de l’enfant.

Les tests américains vendus sur internet permettent de connaitre le sexe de l’enfant dès la 7e semaine de grossesse. Il suffit à la mère de déposer une goutte de son sang sur une bandelette et de l’envoyer à un laboratoire qui donne la réponse quelques jours plus tard. Ce test ne coûtant que 200 à 400 dollars et fiable à 95%, est très utilisé.

Il doit être interdit en Inde, affirme le docteur S. C. Pant, pionner dans la lutte contre la sélection prénatale. L’Etat indien a mis en place différents moyens pour enrayer ce phénomène de sélection, notamment le "Formulaire F", un contrat contenant une clause exigeant la signature de la mère et sa promesse de ne pas procéder à un avortement sélectif. Pourtant, regrette le docteur S. C. Pant, des kits d’avortement sont accessibles en un clic sur internet et les avortements illégaux peuvent être pratiqués par voie médicamenteuse, restant cantonnés à la "seule conscience des parents". Devant la diffusion incontrôlée de ces tests sur Internet, les lois nationales n’ont plus de poids. "Si le gouvernement était sérieux, il faudrait rigoureusement interdire les appareils portables à ultrasons, surveiller les cliniques où se pratiquent l’IVG, et bannir la vente des pilules pour l’avortement", affirme pour sa part le radiologiste Jignesh Thakker.

Des experts prévoient que, en Inde comme en Chine, cette sélection des enfants selon le sexe amènera, dans les années 2020-2030, une crise démographique sans précédent où plus de 30 000 jeunes hommes se retrouveront dans l’impossibilité de se marier.

La Croix donne la parole à deux gynécologues-obstétriciens concernant le DPN en France.
Praticien à la maternité Port-Royal à Paris, le docteur Gilles Grangé dit ne pas être inquiet car, selon lui, "la grande majorité des couples garde du bon sens". Les futurs parents, estime-t-il, ne vont pas s’engouffrer dans un "dépistage à tout prix, même en ayant accès à des tests précoces et fiables sur internet". S’il existe toujours des cas extrêmes, explique Gilles Grangé, citant l’exemple d’une patiente âgée enceinte de jumeaux, conçus par un don d’ovocyte, et qu’elle élèvera seule, ces cas constituent selon lui une minorité. "La crainte de dérives majeures est de l’ordre du fantasme […] cela ne doit pas empêcher, cependant, d’éveiller les consciences", ajoute-t-il. Evoquant la révision des lois de bioéthique de juin 2011, il estime que la mobilisation du Comité pour sauver la médecine prénatale a sensibilisé les parlementaires sur les dangers d’une systématisation du dépistage de la trisomie 21, amenant la modification de l’article 9 de la loi de bioéthique. Toutefois, ajoute-t-il, "tout n’est pas gagné, car beaucoup de femmes pensent aujourd’hui qu’un test gratuit est obligatoire".

Le docteur Patrick Leblanc, gynécologue-obstétricien au centre hospitalier de Béziers et coordinateur du Comité pour sauver la médecine prénatale, ne cache pas son inquiétude face au "risque du tout-dépistage" favorisé par les tests de plus en plus précoces proposés sur internet. "Il faut être très vigilant. Car il y a bien un risque de dérive eugéniste, déjà perceptible pour la trisomie 21. A l’avenir, avec les tests "prédictifs", c’est-à-dire détectant les prédispositions à telle ou telle maladie, on pourrait même en arriver à un eugénisme "préventif" pour reprendre l’expression d’Edgar Morin : plutôt que de faire courir le risque que le bébé ait tel ou tel risque de déficience, on applique le principe de précaution, on dépiste et on avorte". Les politiques ne semblent pas avoir pris conscience du danger d’eugénisme lié à ces tests prénatals. "Il ne faut pas se leurrer : les enjeux financiers sont énormes et des firmes américaines se pressent déjà à nos frontières et aux portes de l’Agence de biomédecine".

La Croix (Dominique Quinio, Vanessa Dougnac , Marine Lamoureux) 27/09/11

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