Dépistage de la trisomie 21 : nous courons tête baissée le risque de la déshumanité

Publié le 23 Jan, 2019

La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié le 21 janvier, une fiche-patient sur le dépistage de la trisomie 21. Dans un document qui accompagne cette publication, l’Agence explique que c’est un « outil d’information » qui doit « aider les femmes enceintes (ou les couples) à prendre leur décision concernant la possibilité qui leur est donnée de réaliser un dépistage prénatal de la T21 ». C’est un « support de dialogue » qui doit « accompagner l’information apportée par les professionnels de santé ».

 

La fiche se veut équilibrée : elle rappelle à plusieurs reprises que ce dépistage « n’est pas obligatoire » et que les résultats obtenus, « le choix vous appartient » de savoir quelle suite donner à la grossesse.

 

Pourtant, plusieurs nuances sont à apporter. En effet, la question du dépistage de la trisomie 21 implique de facto celle de l’avortement : les parents qui refusent ce test sont ceux qui sont prêts à accueillir l’enfant tel qu’il se présente, tel qu’il est et tel qu’il sera. Rares sont les femmes qui demandent à faire le test pour se préparer à accueillir un enfant handicapé et nombreuses sont celles qui le font sans vraiment savoir à quoi elles s’engagent[1]… De plus, et c’est un autre point sensible, l’enfant n’est pas pris en compte pour lui-même, mais uniquement sous le prisme de son chromosome supplémentaire. Alors même que les personnes porteuses de trisomie 21 sont mises en avant pour leurs qualités, pour leur insertion sociale – je pense à ces jeunes femmes qui font du mannequinat, qu’on invite à présenter la météo ou à ce jeune homme en lice sur le Paris-Dakar et c’est tout le paradoxe de notre société -, ce chromosome supplémentaire, dépisté, conduit à l’élimination de 96% des personnes porteuses de trisomie 21.

 

Et si l’information est présentée comme neutre, elle est loin de l’être, parce que la décision que devront prendre les parents ne se pose pas entre deux propositions équivalentes. En d’autres termes, si donner la vie est un bien, avorter un enfant trisomique ne peut même pas être considéré comme un moindre mal (cf. La loi Veil, un moindre mal ?). Pour l’enfant qui ne verra pas le jour, le mal est sans aucun doute le plus grand qui puisse exister, puisqu’il le prive d’un droit fondamental, celui du droit à la vie.

 

Ainsi sous couvert de liberté de choix, les femmes enceintes et leurs partenaires sont pris dans une sorte d’engrenage extrêmement contraignant. La seule liberté qui devient possible est celle qui conduit soit à avorter, soit à devenir coupable de le garder. « Puisque le dépistage est possible, puisqu’il est permis, puisque rien ne l’empêche, explique Gaultier Bès[2], puisque les pouvoirs publics l’ont eux-mêmes organisé, il faut être fou, irresponsables, pour faire naître cet enfant en toute connaissance de cause ». Cette forme insidieuse de pression conduit de fait à un eugénisme de masse d’autant plus pervers qu’il est perpétré, sur prescription médicale et caution légale, par les parents eux-mêmes sur leur propre progéniture. Combien de femmes, de couples ayant refusé de dépister leur enfant se sont sentis harcelés, tout au long du parcours de la grossesse, par un personnel médical souvent sans égards ? Et l’enfant, une fois né, combien de fois n’ont-ils pas entendu : « Vous ne saviez pas ? ». 

 

Avec l’arrivée du DPNI[3], utilisable dès dix semaines, son insertion désormais acquise dans le parcours de la femme enceinte (cf. DPNI : régularisation en catimini des conditions de prescription) et remboursée par la sécurité sociale, la pression augmente car le dépistage est non-invasif, quasiment indolore pour la femme et sans risque pour le bébé. Les dernières mailles relâchées du filet se resserrent ; après la clarté nucale, les marqueurs sériques, le DPNI est un nouveau passage au crible, sans qu’on en comprenne vraiment la raison. Car, comme l’explique la fiche de la HAS, « la majorité des personnes avec une trisomie 21 peuvent, comme tout le monde, développer des relations affectives et mener une vie gratifiante pour elles-mêmes et leurs proches ». Pourquoi alors les dépister ? Pourquoi ne pas proposer d’alternatives à l’avortement ? Pourquoi, s’il faut les débusquer, ne pas le faire pour accompagner et préparer les familles comme c’est le cas au Danemark (cf. Au Danemark, un programme permet aux parents et futurs parents d’un bébé porteur de trisomie 21 de se rencontrer) ?

 

Obsédée par l’ambition d’une humanité « normalisée », « parfaite », nous courrons tête baissée le risque de la déshumanité.

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