La deuxième édition du Forum européen de bioéthique intitulé « Procréation : la famille en chantier» a porté sur le début de la vie. Les intervenants ont notamment abordé des questions liées au diagnostic prénatal (DPN) et à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Si une pensée transgressive et libertaire a pris le dessus, la question du DPN a toutefois rassemblé la majorité des intervenants.
Le DPN : un carcan
Des professionnels de la grossesse, des philosophes, et des pédiatres ont montré que le DPN est paralysé par trois notions :
– L’obsession de la « normalité ». Les philosophes ont cité Georges Canguilhem (1) qui définit la « normativité biologique » ainsi : « un vivant est normal dans un milieu donné pour autant qu’il est la solution morphologique et fonctionnelle trouvée par la vie pour répondre à toutes les exigences de ce milieu» (2). Une personne est donc considérée comme « normale » dès lors qu’elle peut répondre aux exigences de performance, de rentabilité et de réussite de notre société. Aujourd’hui, le DPN vise précisément à détecter, selon des critères préétablis, si l’enfant est normal. Dès lors, on s’interroge : qu’en est-il si l’enfant est dépisté comme anormal, à savoir en dehors des mesures fixées par la majorité ? En est-il moins humain ? Avec cette « obsession de la norme », dénonce Didier Sicard (3), « on réduit le futur de l’humain à un certain nombre de critères biologiques et d’imageries qui nous font perdre notre humanité ».
– La gouvernance de la peur. Le DPN attise la peur des parents d’avoir un enfant handicapé. Une peur légitime de sa prise en charge, de son intégration et de son avenir dans la société. Certes, la loi de 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a pour
objectif de palier à cette peur… Mais selon Antoine Spire (4) : « cette loi n’est pas appliquée, il y a un gros problème d’accueil des enfants handicapés dans les écoles ». Dans ce contexte de crainte et de carence sociétale dans l’accueil des plus fragiles, comment affirmer que les parents sont réellement libres dans leur choix ?
– la recherche du profit, qui a guidé l’évolution du DPN. Le gynécologue obstétricien Israël Nisand, initiateur du Forum, l’a affirmé dès son discours inaugural, se disant choqué par le passage en 1997 du diagnostic au
dépistage, sans consultation des citoyens. La seule raison de cette généralisation du dépistage tient à un calcul économique : « Une ‘ fausse couche ’ ne coûte rien à l’état. Le coût du diagnostic de la trisomie 21 équivaut à deux ans de la vie d’une personne trisomique 21. Les enjeux économiques font face aux enjeux de la vie ». Il confie à Gènéthique qu’il a été témoin des pressions des firmes internationales sur les décideurs politiques en 1997. Les faits sont là : 96% des foetus dépistés trisomiques 21, sont éliminés en raison d’un calcul économique.
Un eugénisme dénoncé
Pour la majorité des intervenants, il existe un eugénisme en France, dont les foetus trisomiques 21 sont la première cible. Romain Favre, gynécologue, s’offusque des statistiques : 58% des médecins interrogés prescrivent le test de dépistage de la trisomie sans discussion préalable, 43% des femmes pensent que l’amniocentèse est obligatoire, 16% d’entre elles pensent que l’interruption de grossesse d’un foetus diagnostiqué trisomique 21 est obligatoire. Pour lui, la démarche eugéniste du DPN ne fait pas de doute : les pouvoirs publics en ont fait le choix clair mais « les médecins n’ont pas conscience de cette dérive ». De plus, il note que la médecine et la société sont marquées par certaines notions : la culpabilité d’avoir un enfant handicapé (C.Richet), la biocratie, ayant pour but de favoriser la naissance d’élites (E.Toulouse), le biopouvoir, reposant sur l’alliance entre médecin et institutionnels afin d’orienter les conduites vers une norme (M.Foucault). Yves Alembik, pédiatre, a quant à lui parlé d’un eugénisme financier et dénoncé une «société autoritaire quand tout le monde pense avoir le choix ». Enfin Patrick Leblanc (5), gynécologue obstétricien s’est inquiété « d’un dépistage prénatal en vue d’éliminer ayant pour résultat un eugénisme préventif ».
Quelles solutions ?
Peu d’intervenants en proposent en dehors d’une application réelle de la loi de 2005. Pourtant, si un effort certain est à faire en matière d’intégration des personnes handicapées dans notre société, cela n’est pas suffisant. Seuls trois médecins demandent d’agir dès l’information générale du dépistage, ou au moment de l’annonce d’un handicap. Les deux propositions devraient en réalité marcher ensemble : en effet, si dès la proposition du dépistage, les parents sont submergés d’informations et de tests anxiogènes, comment peut-on les rassurer quelques semaines plus tard quand on leur annonce le handicap de leur enfant ?
Pour le Dr Alembik, l’urgence est d’abord d’accompagner l’annonce du handicap. Le Dr Leblanc confirme qu’une « consultation d’annonce » serait utile pour désangoisser les parents et mieux leur expliquer le handicap dépisté. Il insiste aussi sur la nécessité de modifier la loi de 2011 qui transforme des praticiens en « marchands de risque », les obligeant à informer toutes les femmes enceintes sur le dépistage de la trisomie 21, dès la première consultation, même lorsqu’elles ne présentent aucun risque. « Cela suscite la demande de prescription ». Enfin, le Dr Favre souhaite sortir les médecins de leur solitude en introduisant, dans les cliniques ou hôpitaux, des associations oeuvrant pour des personnes handicapées afin de mieux informer les parents confrontés au handicap et les aider à voir d’abord la personne de leur enfant avant son handicap.
1. Philosophe et médecin français, auteur notamment de « Le normal et le pathologique » , publié en 1943, réédité en 1966.
2. Georges Canguilhem, «Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique».
3. Président d’honneur du CCNE.
4. Journaliste, rédacteur en chef de la revue «Droit de Vivre» journal de la Licra, et intervenant de la table ronde «La France est-elle un pays eugénique » au Forum européen de bioéthique.
5. Coordonnateur du Comité pour Sauver la Médecine Prénatale.